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Départager responsabilités des patrons et responsabilités des résidents.

Dans une affaire  récente, un médecin de famille qui pratiquait des accouchements depuis 13 ans a été condamné pour l’exécution fautive d’une amniotomie ayant causé des lésions permanentes au cuir chevelu d’un bébé. Comme le tribunal a conclu que cette procédure n’avait pas été exécutée selon les règles de l’art, le médecin a dû dédommager le tuteur de l’enfant pour des dommages subis par ce dernier.

Le seul hic de l’affaire, c’est que ce n’était pas le médecin de famille qui avait pratiqué l’amniotomie, mais plutôt une résidente de niveau 1 en obstétrique qui complétait sa quatrième semaine de stage. Au moment des événements, la résidente en question avait communiqué avec son patron (le médecin de famille) pour discuter du cas de cette patiente. Comme celle-ci était en dystocie du travail sans progression avec un col dilaté à 4 centimètres depuis une assez longue période, il a été décidé d’exécuter une amniotomie pour provoquer la rupture artificielle des membranes. Tout va bien jusque-là. L’histoire ne dit pas si la résidente en était à sa première expérience pour l’exécution de cette procédure, mais les faits rapportés dans le jugement rendu en faveur de la plaignante révèlent qu’il y a eu plusieurs tentatives d’exécution de l’amniotomie de la part de la résidente, mais qu’elle a finalement cessé la manœuvre après que la patiente eut ressenti des malaises dus à une chute de pression. On comprend que le médecin patron n’était alors pas sur place. Le lendemain, l’enfant est né, et c’est le même médecin, celui ayant donné les instructions à la résidente la veille, qui a assisté la patiente durant son accouchement.

La plaignante s’est adressée au tribunal afin d’obtenir compensation pour les marques permanentes sur le crâne de son fils. Le montant de sa réclamation était peu élevé, car il ne représentait que le préjudice esthétique subi par l’enfant (7 000 $). On peut se demander pourquoi ce genre de dossier aboutit devant les tribunaux d’autant plus qu’il était évident que l’enfant avait subi un préjudice certain qui était, pour le moins, inhabituel. Selon l’expert engagé par la défense, les égratignures du cuir chevelu du bébé étaient des risques inhérents à la rupture artificielle des membranes et selon lui, ces complications peuvent survenir même si cette procédure est exécutée par un médecin d’expérience. On comprend donc que le médecin poursuivi n’était pas disposé à régler ce dossier sans intervention du tribunal étant convaincu de ne pas avoir commis de faute. Quant aux éléments qui doivent être réunis pour établir la responsabilité civile du médecin, il faut se rappeler qu’il appartient à la victime de prouver la faute du médecin, l’existence d’un dommage qui est une suite immédiate et directe de cette faute ainsi qu’un lien de causalité entre les deux. Comme le contrat médical crée habituellement des obligations de moyens pour le médecin, c’est-à-dire que ce dernier doit prendre tous les moyens raisonnables pour fournir sa prestation, le préjudice à lui seul n’est donc pas suffisant, car il faut notamment une dérogation aux règles de l’art pour rencontrer le fardeau de preuve en demande. Pour déterminer la faute du résident, le tribunal devait donc se poser la question suivante : la conduite du résident est-elle conforme à celle d’un résident raisonnable et diligent, qui possède le même niveau de formation et qui est placé dans les mêmes circonstances ? J’y reviendrai dans mes conclusions. Dans le cadre de cette poursuite, qui relevait de la juridiction de la Cour du Québec, division des petites créances, la résidente, qui était, à elle seule, poursuivie par la patiente, a décidé non seulement se défendre, mais elle a aussi logé un appel en garantie (acte de procédure pour ajouter une partie à une poursuite) contre l’hôpital. Dans les faits, nous savons qu’un hôpital est l’employeur des résidents, mais ces derniers peuvent aussi devenir les préposés occasionnels d’un médecin. C’est le cas lorsque le médecin donne des instructions à un résident pour effectuer une tâche en son nom, comme nous le verrons plus loin. Dans ce cas, comme l’hôpital niait toute responsabilité pour les événements en cause, il a décidé, à son tour, de loger un appel en garantie contre le médecin de famille en alléguant que celui-ci était le commettant de la résidente lors de l’exécution de l’amniotomie, selon lui un acte médical réservé aux médecins ne  faisant pas partie des soins hospitaliers.

 QUI EST RESPONSABLE DE LA FAUTE DU RÉSIDENT ?

A)    LE CADRE JURIDIQUE

En droit civil, une personne peut non seulement être tenue responsable de sa propre faute, mais également de celles commises par d’autres personnes. Un médecin peut donc être tenu responsable d’une faute commise par des individus considérés comme ses auxiliaires, c’est-à-dire ceux qui se trouvent sous sa supervision dans l’exécution d’une tâche. Quelles sont donc les grandes lignes de la responsabilité civile dans le cadre de l’exercice de la médecine qui implique des résidents ? Au cours de sa formation postdoctorale, le résident est appelé à poser des gestes et, lorsqu’il est établi qu’il a commis une faute dans l’exercice de ses fonctions, il faut avant tout regarder la nature des actes médicaux accomplis par le résident pour déterminer si l’établissement hospitalier ou plutôt le médecin patron répondra de sa faute auprès des tiers. D’emblée, il faut savoir qu’il n’y a pas tant de précédents dans lesquels l’hôpital a été tenu responsable de la faute d’un résident. Le suivi postopératoire des patients en milieu hospitalier, par exemple, a fait couler beaucoup d’encre dans le passé, et les tribunaux ont régulièrement été appelés à déterminer qui était responsable d’une faute commise par le résident lorsque ce dernier était chargé de s’occuper du suivi postopératoire d’un patient. Dans plusieurs décisions, le tribunal a fait une distinction entre le suivi postopératoire ordinaire, qui relève des activités normales d’un centre hospitalier, et le suivi post-opératoire qui relève de la sphère des activités du médecin, en raison de son caractère problématique ou disons irrégulier. Dans l’affaire Labrecque (2), le médecin patron avait demandé aux résidents une surveillance étroite d’un patient, et la Cour d’appel avait associé une telle surveillance aux activités médicales exclusives du médecin et non aux activités habituelles d’un hôpital. Comme le résident était devenu le préposé momentané du médecin patron, la responsabilité civile de ce dernier a été retenue.

LA PRESTATION DU RÉSIDENT : UN ACTE MÉDICAL OU UN SOIN HOSPITALIER ?

Nous savons donc que le résident agit comme préposé de l’hôpital lorsqu’il pose certains actes appelés couramment des soins hospitaliers. La Loi médicale définit l’exercice de la médecine, mais cette loi ne nous aide pas à comprendre ce qui constitue un soin hospitalier. Selon la doctrine, que le médecin soit présent ou non, tant que l’auxiliaire accomplit un acte hospitalier, il « exécute l’obligation de l’hôpital et engage la responsabilité de ce dernier » (3). Certains auteurs ont fait une revue de la jurisprudence pour conclure que, par soins hospitaliers, « on s’entend généralement pour inclure la surveillance des patients, leur hébergement, l’exécution des ordonnances médicales, ainsi que tous les actes non médicaux accomplis par divers professionnels de la santé […] (4) » Par ailleurs, lorsque le résident accomplit les actes médicaux, il relève normalement de la responsabilité du médecin patron, car il agit alors sous la direction et la supervision directe de ce dernier. Pour savoir si le résident est en train de poser des actes médicaux au nom d’un médecin, il faut se demander si l’acte exécuté par le résident est normalement un acte qui relève du champ de compétence du médecin. Revenons à cette amniotomie qui a mal tourné. Selon le juge de la Cour du Québec, la résidente a posé un acte médical, car elle était intervenue dans le suivi de grossesse d’une patiente. Comme nous l’avons vu, si le tribunal avait été d’avis que le geste posé devait être considéré comme faisant partie des actes ou soins hospitaliers, sa décision aurait été différente, car la responsabilité de l’établissement hospitalier aurait alors été engagée.

LA FAUTE DE LA RÉSIDENTE DANS L’EXÉCUTION DE L’AMNIOTOMIE

La plaignante avait donc le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la résidente avait commis une faute dans l’exécution de l’amniotomie. Quant à la résidente, elle avait une obligation de moyens et non de résultats et elle aurait pu, à la limite, commettre une simple erreur sans que cela puisse entraîner des effets juridiques. Dans le passé, les tribunaux ont affirmé qu’il faut tenir compte « de la possibilité limitée du médecin, dans ce qu’il décide de la conduite à suivre, de prévoir le déroulement des événements » (5). Comme nous l’avons vu, en somme, pour entraîner ou non une responsabilité civile de quiconque, cela dépendait de la réponse du tribunal à la question qui était de savoir ce qu’aurait fait, en pareil cas, un autre médecin (résident) de même niveau de formation et de compétence et d’habileté ordinaire et raisonnable placé dans les mêmes circonstances.

LES ÉGRATIGNURES AU CUIR CHEVELU DU BÉBÉ : UN RISQUE INHÉRENT À L’AMNIOTOMIE ?

Selon l’expert retenu par le médecin qui avait agi comme patron dans cette affaire, il existait un risque inhérent d’égratignures du cuir chevelu du bébé à la rupture artificielle des membranes même si celle-ci est pratiquée par un médecin d’expérience. Pour l’expert, ce risque est mineur comparé aux risques reliés à une césarienne consécutive à un arrêt de progression du travail. Or, pour le tribunal, les photographies démontraient que l’enfant en question avait subi des lésions plus importantes que de simples égratignures lui laissant des marques permanentes (cicatrices blanches) pour le restant de sa vie. Dans son jugement, le tribunal ne fournit pas beaucoup de détails pour qu’on puisse comprendre le raisonnement menant à sa conclusion ayant trait à la faute de la résidente. Il mentionne simplement que la résidente, en causant ce genre de lésions, n’avait pas fait ce qu’une résidente aurait dû faire en pareilles circonstances. Le tribunal semble aussi avoir accordé une certaine importance aux notes du dossier médical, qui ne faisaient pas seulement référence à des égratignures, mais également à des lacérations et à l’abrasion.

LA PRÉSOMPTION DE RESPONSABILITÉ DU COMMETTANT POUR LA FAUTE DE SON PRÉPOSÉ

Il existe une présomption légale à l’article 1463 du Code civil du Québec, et cette disposition a été invoquée pour retenir la responsabilité du médecin patron pour la faute de la résidente. Il était clair avant tout pour le tribunal que la résidente, en procédant à l’amniotomie, posait un acte médical qui faisait manifestement partie des actes médicaux normalement dévolus au médecin patron. Il y a trois conditions qui devaient être remplies pour engager la responsabilité du patron pour la faute de la résidente. Il faut être en présence d’un lien de préposition entre le préposé et le commettant, qu’un préjudice ait été causé dans le cadre de l’exécution des fonctions et que ledit préposé ait commis une faute civile. Pour le tribunal, ces trois conditions étaient réunies et, pour lui, l’établissement hospitalier n’agissait pas, de toute évidence, comme commettant lors des événements.

LA DÉCISION DE LA COUR DU QUÉBEC

Le recours de la plaignante fut accueilli, et le tribunal a condamné la résidente à verser à la plaignante, en sa qualité de tutrice de son fils, la somme de 5000 $ en réparation du préjudice corporel subi par l’enfant. Du même coup, le tribunal a condamné le médecin patron, à titre de commettant, de rembourser à la résidente les sommes que cette dernière a été condamnée à verser.

CONCLUSION

Certains auteurs de doctrine suggèrent que le résident est, pour la grande majorité de ses fonctions professionnelles, le préposé du médecin, lequel est, comme nous le savons, aussi responsable de son enseignement. Comment assurer le maintien d’une haute qualité des soins médicaux fournis à la population et atteindre les objectifs de formation des résidents tout en sachant que toute erreur commise par le résident peut donner lieu à une poursuite civile ? Nous savons que les résidents jouent un rôle important dans la dispensation de soins médicaux en milieu hospitalier et, ne l’oublions pas, ils sont les futurs patrons. Ceci étant dit, pensons au message que nous leur envoyons si nous les laissons se débrouiller seuls pour se défendre dans le cadre d’une poursuite. Ce dossier illustre le besoin criant au Québec d’un fonds d’indemnisation qui compenserait les victimes d’erreurs médicales. Nous avons vu que la résidente, le médecin patron et l’hôpital se sont « renvoyé la balle », car personne ne se considérait responsable des dommages causés à l’enfant. Il faut se demander si, de nos jours, ce genre d’affaires devait aboutir devant nos tribunaux. Cela aurait été si simple de compenser la victime et on peut se douter que les frais de défense et d’expertise ont largement dépassé les montants réclamés par la plaignante, au nom de son enfant mineur, laquelle s’est finalement vu attribuer un montant de 5 000 $. Au-delà des enjeux financiers, les victimes cherchent bien souvent une reconnaissance de ce qu’elles ont vécu. Je demeure convaincue que cet objectif aurait pu être atteint autrement que par le recours au tribunal. L’histoire ne dit pas si des excuses ont été présentées à la patiente, ce qui est parfois omis par le médecin par crainte de faire une admission de responsabilité. Pourtant, il a été démontré que la présentation d’excuses peut changer le cours des événements et parfois même éviter une poursuite. Une poursuite implique son lot d’inconvénients et ce n’est certainement pas optimal pour un médecin de commencer sa carrière avec un débat public portant sur sa conduite professionnelle devant un tribunal. Souvent, nous sous-estimons également l’impact négatif d’un débat judiciaire sur les relations entre les parties. Après tout, l’erreur est humaine et, comme le patient devrait toujours être au cœur des préoccupations de tous, les divers acteurs du système de santé devraient faire front commun pour mettre l’accent sur la santé et la sécurité du patient tout en travaillant de concert avec les résidents, et idéalement, dans un environnement sain qui favorise l’apprentissage sans qu’on recherche nécessairement « un coupable » lorsque les choses tournent mal.

RÉFÉRENCES

  1.  2016 QCCQ 6902 (CanLII)
  2. Labrecque c. Hôpital du Saint-Sacrement, J.E. 97-180 (C.A.)
  3. Philips-Nootens, S., Lesage-Jarjoura, P., et Robert P. Kouri, Éléments de responsabilité civile médicale, Éditions Yvon Blais, 3e édition, 2007, par. 142, p. 112
  4. Alain Bestawros, « La responsabilité civile des résidents en médecine et de leurs commettants », La revue du Barreau, tome 64, p. 10.
  5. Lapointe c. Hôpital Le Gardeur (1992) 1 R.C.S. 351