CES CADEAUX QUI N’EN SONT (VRAIMENT) PAS

PAR ME CHRISTINE KARK
Avocate et médiatrice, CK Avocats Inc.

Il arrive aux médecins appréciés de leurs patients de recevoir des cadeaux au cours ou à la fin d’une relation thérapeutique. Dans bien des cas, le patient ne veut qu’exprimer sa reconnaissance au médecin, car ce dernier s’est réellement bien occupé de lui et de ses problèmes de santé. Généralement, il s’agit d’un geste sincère et innocent posé par le patient; après tout, n’est-il pas plaisant de savoir qu’on est apprécié ? Par contre, assurez-vous de n’accepter que des cadeaux de valeur modeste pour assurer votre indépendance professionnelle à l’égard de vos patients.  Il faut éviter d’accepter un cadeau que vous savez dispendieux, car ceci pourrait laisser sous-entendre que le patient planifie de vous demander un traitement préférentiel dans le futur. N’hésitez donc pas à refuser des cadeaux pour éviter qu’on vous accuse d’avoir violé vos obligations déontologiques, ce qui peut entraîner, comme nous allons voir dans ces prochaines lignes, des conséquences néfastes pour votre carrière.
Il est aussi interdit au médecin d’accepter des sommes d’argent provenant de patients à moins qu’il s’agisse d’un montant qui vise à payer pour un service pour lequel le médecin est légalement autorisé à facturer le patient1. Selon la version actuelle de l’article 73 (3) du Code de déontologie des médecins2, « le médecin doit s’abstenir d’accepter, à titre de médecin ou en utilisant son titre de médecin, toute commission, ristourne ou avantage matériel à l’exception de remerciements d’usage ou de cadeaux de valeur modeste ». La jurisprudence nous enseigne que l’acceptation d’un montant d’argent du patient constitue pour le médecin un acte dérogatoire à l’honneur et la dignité de la profession en vertu de l’article 59.2 du Code des professions.
Voyons le cas récent d’un médecin qui a été réprimandé par son ordre professionnel en 2014. Il s’agissait d’un éminent cardiologue pratiquant au Québec et qui avait été appelé à voir en cabinet un patient incarcéré.
Après quelques consultations, la conjointe du patient s’est présentée à son bureau pour lui remettre une enveloppe. Le médecin l’accepte et décide de l’ouvrir une fois rendu chez lui le soir et il découvre alors un chèque de 5 000 $. Il faut savoir que ce montant ne correspondait pas à des services professionnels rendus par le cardiologue, car ceux-ci avaient été payés par le Service correctionnel du Canada (SCC), considérant que le patient était un détenu d’un centre de détention fédéral. Nous verrons que le conseil de discipline s’est d’abord attardé à comprendre la rémunération des médecins pour des soins médicaux rendus aux détenus, laquelle est consignée dans une entente signée entre la Fédération des médecins spécialistes du Québec et le SCC.

L’OUVERTURE D’UNE ENQUÊTE PAR LE SYNDIC DU CMQ

CoverCette histoire a commencé par l’ouverture d’une enquête par le syndic du Collège des médecins du Québec à la suite d’une lettre que lui avait adressée le détenu, patient du cardiologue, et dans laquelle ce patient prétendait avoir versé 5 000 $ à son médecin. Dans sa réponse écrite au Collège, le cardiologue nie les diverses allégations contenues dans la plainte, mais ne fait curieusement aucune référence à un quelconque montant d’argent reçu de la conjointe de son patient. Or, lorsqu’il est convoqué par le syndic, il admet avoir reçu une telle somme et le syndic considère avoir suffisamment de preuves pour loger une plainte contre lui auprès du conseil de discipline du Collège des médecins du Québec.

 L’AUDITION DEVANT LE CONSEIL DE DISCIPLINE

La position du syndic
Pour le syndic, l’intimé a posé un geste contraire à l’honneur et à la dignité de la profession en acceptant la somme de 5 000 $ de son patient. Il lui reproche de ne pas avoir préservé son indépendance professionnelle et d’avoir accepté indûment un avantage matériel en contravention des articles 63 et 73 du Code de déontologie des médecins. De plus, ce même Code prévoit à l’article 103 que le médecin doit s’abstenir de réclamer de quiconque des honoraires pour des activités dont le coût a été ou doit être payé par un tiers.
Il faut se rappeler que, pour juger du bien- fondé d’une plainte disciplinaire, le fardeau de preuve repose sur les épaules du syndic, qui doit démontrer, selon la balance des probabilités, que le médecin visé par la plainte a commis les gestes reprochés. Lors de l’audition, le procureur du syndic a d’abord rappelé que les membres d’un ordre professionnel, comme le Collège des médecins du Québec, jouissent d’importants privilèges et doivent, en retour, assumer des obligations.
Quant à la substance de la plainte, selon le syndic, l’intimé s’est placé dans une situation de confit d’intérêts en acceptant un chèque de 5 000 $ du patient. Selon la jurisprudence, le critère utilisé pour déterminer s’il y a réellement confit d’intérêts est celui de l’opinion de « l’observateur raisonnable ».
La position du cardiologue
Lors de son témoignage devant le conseil de discipline, le cardiologue admet à nouveau qu’il a effectivement reçu un chèque de 5 000 $ après la deuxième visite du patient. Lorsqu’il est interrogé sur la signifcation de ce geste, il explique qu’il croyait à l’époque que c’était en guise d’appréciation que le patient lui avait ofert ce montant d’argent. Il ajoute qu’il a compris plus tard qu’il s’agissait d’une contribution pour des services futurs. Il mentionne aussi qu’il a dû répondre à de nombreux courriels du patient que ce dernier lui transmettait à toute heure du jour.

DES MENACES DU PATIENT QUI N’ONT PAS TARDÉ…

Dans plusieurs courriels que le cardiologue avait reçus du patient, ce dernier décrivait son état de santé et formulait des exigences auprès du médecin. L’une des demandes était que le cardiologue fasse pression auprès de ses confrères pour que l’un d’entre eux procède à des interventions que le patient considérait essentielles pour sa santé et, pour s’assurer de la collaboration du cardiologue, le patient faisait allusion au paiement de 5 000 $ et formulait des menaces de représailles.
Durant son témoignage, le cardiologue a tenté de convaincre les membres du conseil de discipline qu’il était en droit de réclamer des honoraires au patient mais sans préciser en vertu de quelles dispositions de l’entente il s’appuyait pour les réclamer. Durant l’audition, on lui a d’ailleurs permis de faire référence à ses comptes d’honoraires, malgré l’objection du procureur du syndic, car ceux-ci ont tous été émis après le dépôt de la plainte en 2012. Selon le cardiologue, ces comptes visaient les services non essentiels rendus au patient pour lesquels il était en droit de facturer. Durant ses représentations, le procureur du cardiologue a insisté sur le fait que l’entente négociée avec le SCC ne visait que la rémunération des médecins pour les services de santé essentiels et qu’il y avait une exclusion pour les services non essentiels. Il paraît également que le cardiologue avait déjà remboursé le 5 000 $ au patient, suite aux conseils du juge en chef de la Cour supérieure, formulés dans le cadre d’une demande d’autorisation du patient pour intenter une poursuite contre plusieurs médecins y compris l’intimé.
Le cardiologue a expliqué qu’il ne savait pas que les personnes incarcérées bénéficiaient d’un programme d’assurance pour des soins médicaux. Il a ajouté qu’il ne pouvait refuser de soigner le patient, tout en mentionnant que le SCC ou le patient lui devait aujourd’hui plus de 20 000 $. Il a aussi mentionné qu’il a toujours cru que le patient l’avait payé 5 000 $ pour les soins déjà dispensés si on tenait compte des courriels et des communications téléphoniques.
Selon les procureurs de l’intimé, il n’y avait pas de confit d’intérêts dans cette affaire. Selon eux, l’article 59.2 du Code des professions existe pour sanctionner des fautes majeures, c’est-à-dire des écarts marqués entre le comportement d’un médecin et celui généralement accepté d’un professionnel. Ils ont aussi réitéré que le cardiologue ignorait que la clinique médicale avait facturé le SCC pour les soins médicaux qu’il avait rendus au patient et que rien n’empêchait le médecin d’accepter une avance du patient. Ils ont aussi tenté de convaincre les décideurs que le cardiologue était de bonne foi, qu’il était dévoué et qu’il ne savait pas que la clinique avait facturé le SCC.

L’ANALYSE DU CONSEIL DE DISCIPLINE

Selon le conseil de discipline, le syndic s’est déchargé de son fardeau de preuve, car il a réussi à démontrer que « l’intimé n’a pas sauvegardé son indépendance professionnelle ou, à tout le moins, s’est placé en situation potentielle de confit d’intérêts en acceptant cette somme d’argent. Le conseil de discipline a aussi souligné que cette somme d’argent ne pouvait pas être considérée comme “un cadeau de valeur modeste” ».
Pour statuer sur les moyens de défense invoqués par l’intimé, le conseil de discipline devait procéder à l’évaluation de la crédibilité des témoins et, pour ce faire, il s’est référé au critère établi par la jurisprudence. En vertu de ce critère, il fallait examiner si le récit d’un témoin est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits en l’espèce. Le conseil de discipline a procédé à cette analyse et a conclu que l’intimé n’était pas du tout crédible, car ces arguments ne tenaient pas la route. Tout d’abord, il était clair pour les membres du conseil de discipline que ce patient n’était pas le premier détenu reçu à cette clinique médicale et, pour eux, la preuve démontrait que la clinique connaissait la procédure à suivre pour facturer les honoraires payables par le SCC. Le conseil de discipline n’a également pas cru que l’intimé a ignoré jusqu’en 2012 l’existence d’une entente existant entre la clinique médicale et le SCC. D’ailleurs, selon le conseil de discipline, si l’intimé ignorait vraiment comment se faire payer par le SCC, il avait tous les moyens pour obtenir l’information et son comportement devait être plutôt qualifié d’aveuglement volontaire.
Il faut aussi noter que le conseil de discipline a remarqué que l’intimé a donné des versions différentes à l’égard de la signification du versement de 5 000 $. Il a d’abord affirmé qu’il s’agissait d’« une sorte d’acompte » pour ensuite parler d’une « prise de contact » suivi d’une « rémunération pour les courriels ». Pourtant, il savait lors de sa comparution devant le syndic du Collège pourquoi le patient lui avait versé ce montant, c’est-à-dire pour l’aider à obtenir des soins cardiaques lorsque nécessaire.
En somme, l’intimé a été déclaré coupable des infractions, car il a accepté de l’argent sans avoir exigé une avance. De plus, il ne s’est jamais informé des raisons pour lesquelles on lui donnait cette somme tandis qu’il devait savoir que le patient était couvert par un régime d’assurance maladie. Enfn, par sa conduite, l’intimé laisse croire à ses confrères qu’ils peuvent échapper à leurs obligations déontologiques en plaidant l’ignorance. Le conseil de discipline ajoute ceci : « les nombreux courriels transmis, même à son domicile, les menaces faites, démontrent éloquemment que l’intimé par son insouciance ou son aveuglement avait perdu son indépendance professionnelle. »
L’intimé est donc reconnu coupable par son ordre professionnel, car il s’est placé dans une situation de confit d’intérêts. De plus, il est jugé avoir fait preuve d’aveuglement volontaire et on le blâme pour avoir porté atteinte à la confiance du public en l’intégrité des membres de sa profession.

LA SANCTION DISCIPLINAIRE

Les parties ont été convoquées à nouveau pour faire des représentations sur sanction. Pour le syndic, il fallait imposer une sanction sévère à l’encontre du médecin afin que le public soit bien informé que le Collège ne tolérait pas qu’un médecin accepte une rémunération d’un patient si un tiers s’était engagé à payer ses honoraires. C’est pour cette raison que le syndic a demandé au conseil de discipline qu’on impose au médecin une radiation de trois (3) mois et le paiement d’une amende de 5 000 $.
Une analyse de la jurisprudence applicable en la matière s’ensuivit, car des professionnels de la santé ont été trouvés coupables pour des infractions semblables tant au Québec qu’ailleurs au Canada. Le conseil de discipline explique qu’il est tenu de tenir compte de l’autorité des précédents.
Selon le conseil de discipline, la faute commise par le médecin était grave non seulement parce que ce dernier avait contrevenu au Code de déontologie des médecins, mais aussi parce qu’elle « alimente cette rumeur que des médecins sont prêts à privilégier des patients moyennant une rémunération secrète », ce qui va à l’encontre de la loi et de leurs obligations déontologiques et professionnelles.
Plusieurs facteurs aggravants ont été considérés dans cette affaire, notamment le fait que le médecin en question était un professionnel d’une grande réputation, qui enseignait à de futurs collègues, et qui se devait donc d’être un modèle. De plus, le conseil de discipline mentionne que le médecin n’avait pas de remords et qu’il était nécessaire de réprimer une telle conduite. Pour cette instance disciplinaire, le médecin a donné l’impression que sa célébrité le protégeait contre toute sanction pour inconduite professionnelle.
Le conseil de discipline a toutefois reconnu une circonstance atténuante pour le médecin dans cette affaire, ce dernier étant tombé dans un piège tendu par son patient, que le Conseil qualifia de « personne dont la ruse et le goût des litiges vexatoires et abusifs sont connus ».
En raison de la gravité de la faute et des facteurs aggravants dans cette affaire, le conseil de discipline a souligné que la sanction proposée par le syndic paraissait légère, mais qu’il se devait de respecter la jurisprudence actuelle. Le conseil s’est référé à une affaire semblable , où un médecin fut condamné à une semaine de radiation et 1 500 $ d’amende. Or, pour le conseil, cette affaire se distinguait grandement du cas en l’espèce. En effet, le conseil n’a pas manqué de souligner que, dans l’autre affaire, le médecin en question avait collaboré avec le syndic, reconnu sa culpabilité et exprimé des remords, évitant ainsi une longue enquête, éléments qui n’étaient pas présents dans ce dossier.
Pour l’ensemble de ces motifs, le conseil de discipline a imposé au cardiologue une radiation temporaire de deux (2) mois ainsi qu’une amende de 5 000 $.

MORALE DE L’HISTOIRE ?

C’est en vous exposant à des cas extrêmes que vous réalisez à quel point, comme médecin, vous êtes tenu à des standards de conduite élevés. Ce cardiologue a donné l’impression au conseil de discipline d’être « intouchable » et il doit aujourd’hui en payer le prix, car son attitude a été considérée comme un facteur aggravant et contribuant à l’exemplarité de la sanction qui lui a été imposée.
RÉFÉRENCES
1. Voir les dispositions de la Loi sur l’assurance maladie pour plus de détails
2. Cet article du Code de déontologie des médecins fait l’objet d’un amendement qui n’était pas encore en vigueur au moment de la rédaction de ce texte.
3. Gauthier c. Eisenberg