LES BILANS DE SANTÉ SERONT-ILS BIENTÔT ILLÉGAUX AU QUÉBEC?

PAR Me CHRISTINE KARK
Avocate et médiatrice, CK Avocats Inc.

Depuis quelque temps, la question se pose dans le monde de la médecine à savoir si les examens médicaux effectués à titre préventif permettent réellement le dépistage précoce de maladies graves. Selon le Collège des médecins du Québec (CMQ), au cours des dernières années, il y a eu dans la province une hausse croissante de patients qui souhaitent voir leur médecin régulièrement, question de faire un « check-up », sans qu’ils aient nécessairement des problèmes de santé. Pour le CMQ, ces patients occupaient trop de place dans les agendas des médecins qui devraient, à son avis, plutôt se concentrer à voir des gens malades. De plus, pour des raisons que nous ignorons, l’ordre professionnel des médecins voyait d’un mauvais oeil les cliniques privées qui ont développé une niche en offrant à leur clientèle, et notamment à des employeurs québécois, des services y compris des bilans de santé pour leurs employés. Il est étonnant de voir que le Collège soit allé jusqu’à dire que les tests et examens effectués lors de ces visites annuelles dans des cliniques dites VIP « ne détectent à peu près rien », allant jusqu’à souligner qu’entre un examen annuel dans une clinique et un abonnement au gym avec un soutien à l’arrêt du tabagisme, c’est la deuxième option qu’un employeur devrait favoriser s’il voulait encourager la prévention des maladies chez ses employés. Il reste à voir comment le milieu médical réagira à cette nouvelle position qui remet en doute les pratiques courantes en matière de prévention.

LA NOUVELLE POSITION DU COLLÈGE À PROPOS DE L’EMP

En février dernier, le CMQ a donc décidé de retirer de son site Web le guide qui portait sur l’examen médical périodique (EMP), longtemps pratiqué et recommandé au Québec et ailleurs. La position du Collège laisse sous entendre que les médecins québécois passaient trop de temps à recommander des tests et examens de dépistage considérés pour la plupart du temps inutiles par le CMQ. Voici ce qui avait été annoncé par le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège : « L’examen médical périodique, longtemps recommandé et pratiqué au Québec et au Canada, visait à évaluer la condition générale du patient et à effectuer certains examens de dépistage en fonction de l’âge ou de facteurs de risques. Avec l’EMP, on privilégiait l’évaluation exhaustive du patient, mais il est apparu au fil du temps que les niveaux de preuves variaient beaucoup d’une mesure à l’autre. Voilà pourquoi en février 2015, en accord avec les experts concernés, nous avons retiré le guide sur l’EMP de notre site Web. »

LA NOUVELLE FICHE DE PRÉVENTION TECHNIQUE
Pour remplacer sa recommandation de l’EMP, le CMQ a décidé de mettre de l’avant de nouvelles recommandations résumées dans un document intitulé « Fiche de prévention clinique », qui préconise une approche préventive globale. Dans cette nouvelle fiche, le CMQ réfère à un nombre limité d’examens préventifs considérés pertinents à recommander par le médecin. Cette fiche regroupe 11 facteurs jugés suffisants pour être inclus dans une démarche de prévention.
Que faire, maintenant, alors que le Collège ne juge plus nécessaire de conserver l’examen périodique ou annuel traditionnel? Dans le futur, le médecin qui procédera à un bilan de santé chez un patient se trouverait-t-il dans l’illégalité?
UNE POSITION AFFECTANT LA PRATIQUE MÉDICALE DES OMNIPRATICIENS?

Comment intégrer les nouvelles recommandations du CMQ dans la pratique courante des médecins? La pratique médicale au Québec sera-t-elle affectée à tout jamais par la plus récente position du CMQ de ne plus croire aux effets bénéfiques des examens annuels préventifs?

Comme médecin, vous devriez savoir que la relation médecin-patient engendre un grand nombre de responsabilités, et il faut se demander ce qui peut arriver si les médecins, en suivant les recommandations du Collège, cessaient de voir leurs patients sur une base régulière. Comme médecin, vous savez mieux que quiconque qu’un patient asymptomatique n’est pas synonyme d’un patient en santé.

PRÉVENTION PONCTUELLE ET AU BESOIN

Auparavant, l’examen périodique était l’occasion pour le médecin de faire le tour d’horizon de la santé globale de son patient. Il faut donc se demander comment ce médecin est censé d’agir compte tenu des nouvelles recommandations du CMQ. Selon ces dernières, le médecin devra, au lieu de recommander à son patient des examens périodiques planifiés, saisir l’occasion des visites ponctuelles du patient pour aborder, à ce moment-là, les questions de prévention. Mais qu’arrivera-t-il au patient qui ne développe pas de problèmes de santé ponctuels et apparents? Il ne devrait, alors plus avoir le besoin de se présenter au cabinet de son médecin? Pour ce patient, les examens préventifs n’existeront plus, car le médecin n’aura pas l’opportunité de lui en parler?

À première vue, la nouvelle recommandation du CMQ ressemble à un clin d’oeil au public pour démontrer une volonté de diminuer le problème d’accessibilité de la population à un médecin de famille. Comme médecin, il faut songer à adapter votre pratique en conséquence, car il n’est jamais prudent d’aller à l’encontre de recommandations de votre ordre professionnel. Mais attention, tout changement de vos pratiques habituelles ne devrait pas se faire au détriment de votre obligation première, qui demeure celle de bien soigner vos patients. Comment concrètement intégrer les recommandations du CMQ? Il n’y a pas de solution de miracle et le médecin devra être à l’écoute des besoins de sa clientèle et exercer son jugement au meilleur de ses connaissances.

Il y aura des patients qui continueront à demander à leur médecin des consultations périodiques, question d’être rassurés sur leur état de santé. Le médecin devrait-il maintenant refuser de leur donner un rendez- vous? Je ne le crois pas. La nouvelle Fiche de prévention technique est d’ailleurs présentée par le CMQ comme un outil pour faciliter la pratique médicale, ce qui laisse croire qu’elle pourra être qualifiée comme une référence pour le médecin sans lui imposer un code de conduite spécifique. Selon moi, un médecin est encore en mesure de procéder à un bilan de santé chez le patient. Tout d’abord, comme professionnel de la santé, il est appelé à exercer son jugement clinique pour décider quel examen diagnostique ou préventif il devra prescrire à son patient et, pour ce faire, il doit nécessairement amener le patient à son cabinet. Après tout, ce n’est pas le CMQ qui aura la responsabilité ultime des soins fournis aux patients.

Par ailleurs, comment savoir d’avance que le patient est réellement en santé sans qu’il ait été vu, questionné et examiné par le médecin? Qui sera responsable d’une maladie grave qui n’aurait pas été diagnostiquée à temps, car le médecin aurait recommandé au patient de ne plus se présenter à son cabinet sauf lorsqu’il a des symptômes? Qu’en arrive-t-il de la responsabilité du médecin de famille d’assurer le suivi et la prise en charge d’un patient s’il refuse de le voir? Ce sont toutes les questions que les médecins se posent depuis que le Collège a décidé de ne plus recommander l’EMP.

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SUGGÉRER ET EFFECTUER DES BILANS DE SANTÉ QUAND MÊME?

Certains médecins se demandent s’ils pourront encore effectuer des examens périodiques chez leurs patients ou si cette pratique sera maintenant considérée illégale par le CMQ et susceptible d’entraîner des sanctions disciplinaires ou d’autres conséquences fâcheuses. Certains s’inquiètent aussi et se demandent ce qui pourrait arriver si le médecin omettait de recommander au patient de se présenter à son cabinet pour des examens annuels et qu’un jour, une maladie grave évolue et on réalise qu’un diagnostic précoce aurait pu faire une différence. Le médecin ne serait il pas le premier qu’on va tenter de pointer du doigt?

LE MÉDECIN DEVRA PRENDRE DE NOUVELLES INITIATIVES

Revenons aux nouvelles recommandations du CMQ. Ce dernier recommande au médecin de profiter des visites du patient pour aborder des questions de prévention. Mais est-ce que cela est réaliste? Cela voudrait dire que vous risquez de vous retrouver avec un patient qui se présente pour une fracture de cheville et, comme vous ne l’auriez pas vu pour son examen annuel, vous devriez non seulement traiter sa cheville, mais lui dire aussi, par exemple, que le temps est venu de penser à une colonoscopie en raison de son âge ou d’autres facteurs de risques. Bonne chance, car le patient risque d’être déstabilisé de vous entendre lui parler de colonoscopie tandis qu’il est préoccupé par des douleurs à la cheville!

Bref, à mon avis, il est loin d’être certain que les patients verront d’un bon oeil que leur médecin profite de leur présence dans son cabinet pour se concentrer sur autre chose que la raison de la consultation. Ce type de scénario pourrait engendrer de nouvelles plaintes de patients, frustrés de se faire prescrire toutes sortes de tests n’ayant rien à voir avec la raison d’être de leur consultation. Pourtant, si le médecin se fie à la position du CMQ, il devra transformer chaque visite du patient en une sorte d’examen périodique et se rappeler de l’existence de la Fiche de prévention technique. Il devra aussi exercer son jugement clinique quant à la nécessité de recommander d’autres examens préventifs ou d’autres interventions telles que la vaccination. À noter que la Fiche de prévention clinique implique la participation de plusieurs professionnels de la santé en plus du médecin, ce qui risque de compliquer le tout si votre patient ne s’attendait pas à cela.

LES OBLIGATIONS DÉONTOLOGIQUES DE TOUT MÉDECIN

En matière de soins de la santé, un médecin est tenu à une obligation de moyens et non à une obligation de résultat à l’égard du patient. Cela veut dire qu’un médecin doit faire preuve d’un comportement comparable à celui un autre médecin placé dans les mêmes circonstances et agissant d’une manière prudente et raisonnable — mais non infaillible. Le médecin doit non seulement respecter les standards de la pratique médicale et suivre les principes scientifiques, mais il doit aussi, en plus de respecter son Code de déontologie, exercer sa profession conformément aux lois applicables comme la Loi médicale, le Code des professions et les règlements adoptés en vertu de ces lois.

Comment intégrer les recommandations de votre ordre professionnel sans violer vos obligations à l’égard du patient? Rappelons d’abord la responsabilité première envers le patient : si on agit comme médecin de famille d’un patient, c’est qu’on a accepté d’assurer, pour chaque patient inscrit auprès de la Régie de l’assurance maladie, la prise en charge et le suivi des soins requis par son état de santé. Cela inclut nécessairement les examens périodiques, le suivi des examens de laboratoire, la gestion de la médication, etc.

Il y a aussi une distinction entre un médecin qu’un patient consulte pour un problème précis et un médecin traitant agissant comme médecin de famille, ce dernier jouant le rôle de « capitaine d’équipe ou [de] chef d’orchestre responsable de l’état de santé global de son patient », comme le qualifie l’honorable Robert Mongeau de la Cour supérieure dans l’affaire Therrien c. Launey. Comme médecin traitant, on doit donc s’assurer que le patient subisse tous les examens requis par son état de santé. Par exemple, un examen préventif de dépistage d’un cancer doit faire partie de ses examens notamment en vertu de l’âge ou des facteurs de risque. Comment remplir ces obligations si le patient ne se présente pas au cabinet avec une certaine régularité?

CONCLUSION

Vous aurez compris que l’application des nouvelles recommandations du CMQ ne sera pas simple lorsque vous réalisez qu’un patient pourrait éventuellement vous blâmer pour une prise en charge inadéquate si vous omettez de lui prescrire les examens requis par son état de santé, ce qui comprend les examens de dépistage. À l’avenir, si vous êtes dans l’impossibilité de rencontrer votre patient pour véhiculer les informations nécessaires, vous risquerez de ne pas être en mesure de remplir votre obligation qu’est celle de bien le soigner. Et, comme le projet de loi 20 souhaite imposer des quotas de patients aux médecins, il faudra bien évidemment s’assurer que l’ensemble de votre clientèle reçoive tous les soins auxquels elle est en droit de s’attendre… ce qui représentera, sans le moindre doute, tout un défi pour le médecin.

RÉFÉRENCE

  1. Therrien c. Launey, 2005 CanLII 5311 (QC CS)

http://santeinc.com/2015/11/labolition-des-emp/