Que faire si la première interprétation diagnostique radiologique doit être corrigée?

PAR Me CHRISTINE KARK 
Avocate et médiatrice, CK Avocats inc.

1-telemedecine-kark-f3Conformément leur Code de déontologie, les médecins ont l’obligation de prendre tous les moyens à leur disposition pour s’assurer que le rapport final de leur interprétation diagnostique parviendra bel et bien au médecin requérant. Une récente décision du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) vient rappeler les principes de cette obligation, et ce, dans un contexte un peu particulier : celui de la télémédecine.

L’article 47 du Code de déontologie des médecins le stipule : « Le médecin doit s’abstenir de faire des omissions, des manoeuvres ou des actes intempestifs ou contraires aux données actuelles de la science médicale. »

Cette disposition déontologique a été invoquée dans le cas d’un radiologiste qui avait omis de s’assurer que les corrections à son rapport initial allaient être transmises au médecin requérant. Ces corrections étaient importantes, car elles portaient sur la découverte d’une lésion néoplasique. Vous verrez plus loin qu’un radiologiste doit tout mettre en oeuvre pour s’assurer que le rapport final de son interprétation diagnostique parviendra au médecin requérant. Et ne croyez pas que des difficultés inhérentes au système informatique pourront vous dispenser de cette obligation. C’est ce qu’a appris à ses dépens un radiologiste, lorsqu’il fut condamné par le Conseil de discipline du Collège des médecins à deux mois de radiation temporaire ainsi qu’au paiement de divers frais et déboursés.

LES FAITS

Quelles étaient les circonstances un peu particulières du cas pour lequel cette décision disciplinaire a été rendue le 28 octobre 20141? Un radiologiste inscrit au Tableau de l’Ordre depuis 1995 et pratiquant au Centre hospitalier de Granby a commencé à effectuer de la téléradiologie pour d’autres centres hospitaliers à partir de 2005, dont notamment celui de Chicoutimi, en faisant entre autres de la lecture de radiographies à distance.

Dans cette affaire, le médecin requérant de Chicoutimi avait demandé une radiographie pour l’un de ses patients. Celle-ci a été revue à distance par le radiologiste de Granby. La requête d’examen radiologique, dans la section des renseignements cliniques, comportait l’inscription d’une douleur post-traumatique. Le radiologiste, ne voyant aucune lésion traumatique sur la radiographie, a rapidement envoyé sa dictée, qualifiant la radiographie de normale. Par la suite, il a remarqué une lésion lytique d’origine néoplasique au niveau du coude, pour laquelle il a décidé de recommander une investigation en médecine nucléaire. Malheureusement, lorsqu’il a voulu rajouter la description de cette lésion à son rapport, il n’a pu y parvenir, car le système de lecture de radiographies à distance avait, à l’époque, des limites, et ne lui permettait pas de revenir en arrière sur ses dictées — ce système effaçait le nom des patients dont les rapports avaient déjà été dictés.

Le radiologiste a donc dicté la présence de la lésion un peu plus tard, en l’attribuant à un examen précédent d’un autre patient. Il faut préciser que le radiologiste, devant le Conseil de discipline, n’était pas en mesure de se rappeler le nom de ce patient. Sa mention tardive a finalement été perdue ou incomprise par la secrétaire médicale et le résultat de la radiographie du patient en question est resté normal, de sorte que la présence de la lésion n’a pas été signalée comme elle aurait dû l’être au médecin requérant.

Ayant enregistré un plaidoyer de culpabilité, le radiologiste a ensuite relaté qu’au moment des événements, ils étaient seulement trois radiologistes dans son centre hospitalier, pour environ 30 000 patients visés annuellement, mais qu’il était toutefois le seul à faire de la télémédecine. En dehors du cas présent, le radiologiste a affirmé ne pas avoir d’antécédents disciplinaires et avoir uniquement été sanctionné par son hôpital après une plainte intrahospitalière. Il a aussi présenté au Conseil de discipline les mesures qu’il a prises par la suite afin qu’un tel événement ne se reproduise plus. Il a aussi expliqué avoir reçu une formation concernant le système (PACS), en particulier sur sa nouvelle configuration. En rétrospective, il a admis qu’il aurait dû relire les rapports et contacter le gestionnaire PACS.

LES REPRÉSENTATIONS AU NOM DU SYNDIC ADJOINT DU CMQ

Dans ses représentations, le procureur du plaignant — le syndic adjoint du CMQ — a insisté sur le fait qu’un simple appel téléphonique aurait évité au radiologiste tous ses déboires. Il a aussi soutenu que dans cette affaire, le Conseil de discipline devait évaluer les risques encourus et non les conséquences des gestes posés par l’intimé, et ce, contrairement aux tribunaux civils. Le procureur du plaignant a donc qualifié le geste du radiologiste de négligence par omission volontaire et, pour cette raison, il a recommandé au Conseil d’imposer au radiologiste une période de radiation temporaire de trois mois et de le condamner au paiement de tous les déboursés, incluant les frais d’expertise et la publication de la décision.

Son raisonnement était le suivant : le radiologiste n’avait pas oublié de transmettre les résultats; en revanche, ces derniers étaient inexacts. Il était au courant de son erreur; or il ne s’est pas assuré que cette information allait bel et bien se rendre jusqu’au patient ou au médecin requérant. De plus, selon le procureur, l’intimé savait que la situation était à risque.

Le procureur a donc soutenu qu’il ne s’agissait pas d’une question de compétence, mais plutôt d’insouciance téméraire, selon lui, précisant que même s’il s’agissait d’un problème informatique, c’était l’homme derrière la machine qui était responsable. Dans uncontexte où le radiologiste savait qu’il y aurait probablement un problème avec la transmission de l’information, et qu’il ne s’est malgré tout pas assuré que celle-ci allait être acheminée aux bonnes personnes, le procureur estime que le geste de l’intimé est pire que d’avoir manqué un diagnostic.

Pour toutes ces raisons, il a donc demandé au Conseil de discipline « d’envoyer un message clair, préventif et pédagogique, et ce, notamment parce que l’infraction a été commise dans le contexte de la télémédecine et qu’il y a lieu de protéger le public », lit-on dans la décision. « Ce n’est sûrement pas une amende ou une réprimande qui assureront les objectifs de la sanction disciplinaire et notamment ceux de la dissuasion et de l’exemplarité », ajoute-t-on.

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LES ARGUMENTS DU PROCUREUR DU RADIOLOGISTE

Lors de sa plaidoirie, le procureur du radiologiste a pour sa part mis de l’avant plusieurs principes et facteurs à considérer dans l’établissement de la sanction contre son client. Se basant sur la jurisprudence, il a plaidé que le rôle du Conseil de discipline n’était pas de punir le professionnel concerné, mais plutôt d’assurer la protection du public, de dissuader le professionnel de récidiver, de montrer l’exemple aux autres membres de la profession et de rappeler les droits du professionnel visé d’exercer sa profession (Pigeon c. Daigneault, 2003).

Selon le procureur, la protection du public n’était pas menacée puisque le radiologiste pratiquait depuis 1995 dans un centre hospitalier et que, durant cette période, il n’avait jamais fait l’objet d’une sanction disciplinaire. Il a noté par ailleurs que l’événement ayant mené au dépôt du chef d’accusation constituait un incident ponctuel et isolé et que son client avait pleinement collaboré avec le bureau du syndic, et ce, depuis le début de son enquête.

Il a poursuivi sa démonstration en indiquant que le radiologiste avait pleinement compris la gravité objective de sa faute déontologique et les raisons pour lesquelles le comportement qui lui a été reproché était inadmissible. Le médecin spécialiste a dit regretter sincèrement ses agissements. Selon son procureur, les risques de récidive étaient pratiquement nuls.

Le procureur a rappelé que son client avait reconnu la gravité de son geste, qui aurait pu avoir de graves conséquences, mais qu’en l’occurrence, il s’agissait d’un incident ponctuel et isolé, qui n’avait eu aucune conséquence négative directe pour le patient. De plus, le geste posé n’était pas prémédité et le médecin ne semblait pas avoir agi de mauvaise foi. Pour conclure, le procureur de l’intimé a indiqué les facteurs subjectifs devant être pris en compte dans l’imposition de la sanction disciplinaire : les facteurs atténuants, ainsi que la jurisprudence applicable. Pour ce qui est des facteurs atténuants, le procureur a énuméré le plaidoyer de culpabilité de son client, l’absence d’antécédents disciplinaires, sa collaboration avec le syndic, sa participation volontaire à des formations de mises à jour sur le système PACS, sa compétence qui n’était pas mise en cause et, enfin, ses regrets.

L’ANALYSE DU CONSEIL DE DISCIPLINE ET SA DÉCISION

Dans sa réflexion pour déterminer la sanction, le Conseil de discipline a repris les critères de la décision Pigeon c. Daigneault concernant les objectifs que devrait atteindre une sanction disciplinaire : la protection du public, la dissuasion du professionnel de récidiver, l’exemplarité et le droit par le professionnel d’exercer sa profession.

Le Conseil a déterminé que concernant l’unique chef de plainte, l’intimé avait contrevenu à l’article 47 du Code de déontologie des médecins. Il a toutefois ajouté que si les faits n’étaient pas contestés, l’interprétation à donner était très différente suivant que l’on se rallie à l’opinion du plaignant ou à celle de l’intimé. Ainsi, le plaignant a soutenu que « les gestes posés par l’intimé sont très graves et ne peuvent être attribués à une simple erreur, mais bien à l’insouciance téméraire de sa part, notamment en raison du fait qu’il savait qu’il y aurait possiblement un problème avec la transmission de l’information […] ». De son côté, l’intimé a assuré qu’il s’agissait d’une erreur informatique, mais qu’effectivement, il n’avait pas pris tous les moyens pour s’assurer que l’information allait se rendre à destination.

Poursuivant son raisonnement, le Conseil a cité un extrait de l’expertise médicale effectuée dans cette affaire : « Il arrive assez fréquemment que, lorsque concentré dans un travail routinier, parfois à haut débit, le radiologue s’aperçoive à la dernière minute qu’il a manqué de faire mention d’une trouvaille souvent importante qui mérite d’être soulignée, et ceci après avoir terminé sa dictée et cliqué sur l’icône qui permet de passer au patient suivant. Malheureusement, une fois que la dictée est faite, le cas est supprimé de la liste qui nous est assignée. Il arrive que, lorsque l’on travaille dans un environnement familier (par exemple, notre hôpital ou notre clinique), l’on demande à la transcriptionniste (en entamant le cas suivant) de revenir au rapport précédent et de faire un ajout. Évidemment, dans le cas qui nous intéresse, il s’agissait d’un travail à distance et je ne suis pas sûr que le Dr […] était familier avec les transcriptionnistes de l’autre centre hospitalier et de leurs habitudes de travail. […] À mon avis, le Dr […] s’est comporté avec le travail à distance comme s’il était dans son propre milieu, ayant confiance que la transcriptionniste allait faire les corrections ou ajouts (plutôt qu’amendement, car l’amendement habituellement se fait sur un rapport déjà signé). Lors de la signature de ses rapports en lot, probablement quelques jours plus tard, le Dr […], très occupé, a pu avoir oublié l’omission du cas de Monsieur […] et il ne s’est pas souvenu qu’il devait porter une attention spéciale à la signature du rapport en question. D’après le compte rendu des événements, le Dr […] mentionne lui-même qu’en rétrospective, il aurait dû relire les rapports et contacter le gestionnaire PACS. […] En somme, je pense que le Dr […] a appris de son expérience. Il aurait dû faire appel au personnel de soutien du CSSS de […] pour retrouver la radiographie en question et faire la correction. Il aurait même pu revoir ses rapports et retrouver l’erreur, ce qui aurait pu être beaucoup plus laborieux et même impossible si la transcriptionniste n’avait pas ajouté la phrase en question sur un autre rapport […]. »

Le Conseil a admis que la compétence de l’intimé n’était pas remise en question, qu’il s’agissait d’un fait isolé. Néanmoins, il a ajouté qu’il «s’explique mal pourquoi il a agi de la sorte, lui qui est reconnu pour être méticuleux, car il est vrai que le facteur aggravant est assurément le fait qu’il savait consciemment qu’il y aurait un problème de transmission de son complément de rapport sans rien faire, préférant blâmer l’informatique. Cette façon d’agir est inadmissible, surtout dans le cas d’un spécialiste auquel se réfèrent de nombreux confrères pour obtenir son avis lié à ses compétences supplémentaires».

Le Conseil a été d’opinion que les objectifs d’exemplarité et de dissuasion ne seraient pas atteints par l’imposition d’une simple réprimande ou d’une période de radiation temporaire d’une semaine, comme le demandait le procureur de l’intimé, étant donné le caractère inapproprié important
du comportement de celui-ci. Le Conseil aurait pu être sensible à ces arguments si l’intimé avait réussi à le convaincre qu’il ne connaissait pas les informations ou ne se doutait pas qu’elles ne seraient pas transmises convenablement. «Il avait le devoir de s’assurer que ces informations soient reçues par le médecin requérant ou le patient, ce qu’il a reconnu de toute manière ne pas avoir fait», lit-on dans la décision.

CONCLUSION

Le Conseil de discipline a imposé au radiologiste une période de radiation temporaire de deux mois et le paiement de tous les déboursés, y compris ceux de l’expertise et de la publication de la décision. Se disant conscient de la sévérité de la sanction imposée, il a conclu que son but n’était pas tant d’in infliger une punition, mais d’aider l’intimé à «modifier son comportement dans le but de protéger le public, mais qu’il n’en demeure pas moins que la dissuasion et l’exemplarité demeurent très importantes en l’espèce». La morale de l’histoire? Nous avons vu, encore une fois, que les conseils de discipline sont plus sévères avec des médecins qui attendent d’être confrontés à des problèmes disciplinaires avant de modi er leur pratique. Dans ce cas, le radiologiste savait qu’un problème de transmission de son complément de rapport allait survenir. Ce fait a constitué un facteur aggravant et a joué un rôle important dans la sanction imposée par le Conseil de discipline.

RÉFÉRENCE

  1. 2014 CanLII 64657 (Qc CDCM).

http://santeinc.com/2015/09/telemedecine-et-obligations/