Pour la grande majorité des médecins, tout cela semble évident, mais il faut retenir de la jurisprudence que d’agir par compassion…»
Il faut être vigilant lorsqu’il s’agit d’émettre à un patient un certificat médical pour un arrêt de travail. La gestion de l’absence au travail cause des maux de tête aux employeurs, et il est pratique courante qu’un employeur exige un certificat médical si un employé s’absente pendant plus de trois jours ou pour une durée moindre si l’employeur a des doutes sur le bien-fondé de l’absence. Ici, on pense à certains employés qui ont la fâcheuse habitude de s’absenter de leur travail la veille ou le lendemain d’un jour férié. On peut donc s’imaginer qu’un médecin de famille est régulièrement appelé à avoir des discussions avec certains de ses patients qui se présentent à son cabinet pour obtenir un certificat médical afin de justifier leur absence au travail.

Il est important que le médecin prenne le temps de bien évaluer le patient, qu’il soit son médecin de famille ou non, avant de juger de la nécessité de lui prescrire ou non un arrêt de travail.
L’article 85 du Code de déontologie des médecins prévoit ceci : le médecin doit s’abstenir de délivrer à quiconque et pour quelque motif que ce soit un certificat de complaisance ou des informations écrites ou verbales qu’il sait erronées.
Le deuxième volet de cet article indique clairement qu’un médecin ne peut fournir à quiconque des renseignements qu’il sait erronés, et cela englobe autant les renseignements notés au dossier du patient que ceux fournis au patient, à son employeur, à son assureur ou à un tiers. Que signifie le terme « certificat de complaisance » par contre ? Allons voir les cas qui ont fait jurisprudence pour connaître l’interprétation de cette notion par les conseils de discipline et nos tribunaux.
Dans l’affaire Rainville c. Magnoux(1), on reprochait à l’intimé, le Dr Magnoux, d’avoir délivré un certificat médical qui justifiait un arrêt de travail prolongé de façon rétroactive. Les faits dans cette affaire sont assez particuliers. Le patient était alcoolique et il s’était présenté à l’Hôpital Charles-Le Moyne. Il a ensuite été vu à trois reprises pendant trois jours consécutifs par l’intimé, qui pratiquait à l’urgence de cet hôpital comme consultant de deuxième ligne en médecine générale. Pour l’intimé, ce patient avait besoin d’un suivi médical et un arrêt de travail prolongé, et pour cette raison, il lui a remis un certificat médical pour un arrêt de travail. Comme il a voulu s’assurer que le patient consulte son médecin de famille ou se présente à la clinique externe de l’hôpital pour être réévalué, il a décidé de limiter l’arrêt de travail à une période de dix jours. Tout va bien jusqu’ici, car il est pratique courante de procéder de cette manière, et cela ne fait que confirmer la diligence du médecin.
Le patient en question devait donc revenir à la clinique externe de l’hôpital quelques semaines plus tard, mais il ne s’est jamais présenté à son rendez-vous. Lorsque le médecin a finalement revu ce patient à son bureau, environ un mois plus tard, ce dernier lui a expliqué qu’il n’a pu se présenter au travail ni au rendez-vous médical, car il était en prison. Il a aussi demandé au médecin de lui fournir un deuxième certificat médical justifiant son absence du travail pendant la période d’incarcération. Selon ses dires, autrement, il risquait de perdre son emploi.
Pour le médecin, la prolongation de l’arrêt de travail était médicalement justifiée. Lors de son témoignage devant le Conseil de discipline, il a expliqué que l’abstinence était un élément important dans toute cure de désintoxication. Par conséquent, il était d’avis que l’incarcération pouvait être considérée, en quelque sorte, comme une cure de désintoxication.
La tâche du Conseil de discipline était de déterminer si la prolongation de l’arrêt de travail était effectuée de façon complaisante ou non. Tout d’abord, le Conseil, dans son analyse, a commencé par définir le certificat de complaisance comme étant : « […] non seulement un certificat donné pour plaire au patient, mais aussi et en même temps un  certificat dans le but de tromper celui auquel il s’adresse, parce qu’il n’est pas justifié
médicalement ou qu’il équivaut à un faux document(2). »
Dans ce cas, le Conseil de discipline a conclu que la preuve n’avait pas été faite que la délivrance du certificat médical n’était pas médicalement requise. De plus, il n’existait aucune preuve démontrant que l’intimé avait voulu tromper le destinataire du certificat en le délivrant. En conséquence, la plainte a été rejetée et le médecin, exonéré.
Cette décision est intéressante, car on peut lire que le Conseil de discipline était d’avis que le certificat remis par l’intimé devait être considéré comme une opinion émise par un médecin sur l’état de santé de son patient. Il a ajouté qu’il s’agissait certes d’une opinion discutable qui pouvait être contredite comme toute opinion émise par un professionnel, mais qu’il n’y avait aucune preuve que le médecin avait voulu tromper le destinataire du certificat médical en question en le délivrant.
Cette décision a été ensuite portée en appel au Tribunal des professions(3), mais elle n’a pas été renversée. Selon l’appelant, le Collège des médecins(4), le Conseil de discipline aurait dû vérifier le bien-fondé de la plainte à la lumière de tous les autres articles du Code de déontologie des médecins. Pour le Tribunal des professions, il fallait répondre aux questions suivantes :

  1.  Un certificat rétroactif est-il un certificat de complaisance ?
  2. Le certificat en question contenait-il de faux renseignements, était-il complaisant ou médicalement indiqué ?

En réponse à la première question, le Tribunal des professions a décidé qu’on ne peut conclure à la complaisance du seul fait qu’un certificat médical est rétroactif. Selon ce tribunal, la complaisance doit être appréciée à la lumière de la justification  médicale et non selon la date.
Pour justifier la légalité d’une rétroactivité, le Tribunal a fait l’analogie avec un médecin qui délivre un certificat médical à la demande de l’assureur ou de l’employeur d’un patient qui est dans le coma depuis un mois. Même si cette situation ne doit pas se produire souvent, on comprend le raisonnement du Tribunal sur ce point selon lequel une rétroactivité ne rend pas le certificat médical complaisant.
Quant à la deuxième question qui comportait l’analyse de la justification médicale du certificat médical et la présence ou non de faux renseignements, le Tribunal a noté que c’était le patient qui voulait un certificat du médecin pour justifier son absence au travail. Le Tribunal a enchaîné en disant que, si médicalement parlant, l’absence au travail n’était pas justifiée, « le médecin aurait procuré à son patient un avantage matériel injustifié », « il n’aurait pas pratiqué selon des principes scientifiques » et « il aurait trompé l’employeur, car le certificat qu’il aurait émis aurait été de complaisance, comporterait de faux renseignements, et cela serait contre l’honneur et la dignité de la profession ».
complaisance-kark_f2Une preuve d’expert avait été présentée au Tribunal et elle a certainement joué un rôle dans la décision de ce dernier, car l’expert a confirmé qu’il n’y avait pas de problème avec le second certificat médical, c’est-à-dire que le diagnostic était bien posé et le traitement, indiqué. Il a aussi été mis en preuve que le traitement du malade alcoolique implique une série d’interventions thérapeutiques qui nécessitent souvent, pour être efficaces, un arrêt de travail minimal allant d’un à trois mois. L’intimé n’avait pas établi de plan pour instaurer la thérapie, mais le Tribunal a retenu de son témoignage qu’il voulait que le patient aille voir son médecin de famille, car le suivi requis ne se faisait habituellement pas à la clinique externe de l’hôpital. Cette explication a été retenue par le Tribunal comme étant raisonnable. Le médecin avait pris l’initiative de convoquer le patient subséquemment à la clinique externe pour vérifier si ce dernier avait effectivement vu son médecin de famille, car il voulait s’assurer que celui-ci ne « reste pas entre deux chaises ». En conclusion, le Tribunal des professions a expliqué que d’autres médecins auraient peut-être pu agir autrement, mais que cela ne causait pas de problème ici. Pour lui, il fallait retenir que la prolongation du certificat médical était médicalement indiquée, car le retrait d’origine visant uniquement une partie de la période.

LES AFFAIRES PEUVENT AUSSI TOURNER AUTREMENT…

Dans une autre affaire jugée en 2013(5), le contexte était très différent. Il y avait aussi plusieurs chefs d’accusation portés contre le médecin, qu’on blâmait essentiellement de ne pas avoir élaboré son diagnostic avec la plus grande attention, car il avait limité son intervention à la seule remise d’un certificat d’arrêt de travail (chefs 1 à 5). De plus, les deux derniers chefs d’accusation (6 et 7) étaient liés à la délivrance d’un certificat médical de façon complaisante et à l’inscription au dossier du patient de renseignements que le médecin savait en partie erronés et non représentatifs de sa consultation.
Le plaignant, le syndic adjoint du Collège des médecins, avait déposé en preuve une vidéo filmée à l’insu du médecin lors de la visite d’un faux patient, qui s’était présenté à son cabinet en lui demandant un arrêt de travail de deux semaines sans que le tableau  clinique le justifie. La vidéo était très révélatrice, et on comprend pourquoi le médecin a plaidé coupable aux infractions en reconnaissant avoir délivré le certificat médical par complaisance et avoir colligé de faux renseignements dans le dossier du patient pour cacher son geste.
Dans le cadre des plaidoiries sur sanction, la procureure du Collège s’en est reportée à la vidéo en question et s’est dite choquée de constater que tout était faux dans ce dossier, incluant les notes, qui laissaient croire que le médecin avait pris les signes vitaux du patient. Pour ces motifs, elle demandait une radiation temporaire de 8 mois pour chacun des chefs d’accusation 6 et 7 en mentionnant le manque d’intégrité du médecin, qui constituait, selon elle, une honte pour la profession médicale, qui méritait la confiance du public.

LA SANCTION DISCIPLINAIRE

Une expertise avait été déposée devant le Conseil de discipline pour démontrer la gravité des gestes posés par le médecin qui faisait l’objet de la plainte. Dans son rapport, l’expert a eu l’occasion de commenter la conduite du médecin dans les dossiers de patients pour lesquels ce dernier s’était limité à prescrire un arrêt de travail à durée déterminée et, à une occasion, un arrêt de travail à durée indéterminée. Pour l’expert, le fait que l’intimé n’était pas le médecin de famille des patients ne changeait en rien son obligation de procéder aux questionnaires et aux examens physiques.
Comme le Conseil de discipline était d’avis que l’intimé avait commis des fautes très graves dans l’exercice de sa profession, il lui a imposé une radiation temporaire de 4 mois pour chacun des chefs d’accusation (1, 2, 4 et 5). Essentiellement, cette sanction résultait du manquement du médecin à élaborer un diagnostic et à assurer le suivi médical requis en limitant son intervention à la seule prescription d’un arrêt de travail, le tout en violation des articles 32 et 46 du Code de déontologie des médecins.
Il faut se rappeler que l’intimé avait plaidé coupable aux deux autres chefs d’accusation (6 et 7) et qu’il avait donc reconnu avoir délivré un certificat de complaisance et avoir colligé de faux renseignements dans le dossier du patient pour cacher son geste et se mettre à l’abri de poursuites éventuelles. Cette manière d’agir méritait, selon le Conseil de discipline, que les sanctions imposées par rapport à ces deux chefs soient purgées de façon consécutive, ce qui a donné lieu à une radiation temporaire d’une durée totale de huit mois.
L’intimé a ensuite interjeté appel de la sanction disciplinaire au Tribunal des professions, lequel a été rejeté, car ce dernier a confirmé que « la sanction globale imposée par le Conseil, malgré sa sévérité, ne constituait pas une mesure déraisonnable, injuste, inéquitable ou disproportionnée » justifiant son intervention.

QU’EN EST-IL DES FACTEURS ATTÉNUANTS ?

Pour le Conseil de discipline, il n’y avait tout simplement pas de facteurs atténuants militant en faveur d’une sanction plus clémente. Il a d’ailleurs été jugé que l’intimé n’était pas crédible lorsqu’il a affirmé avoir été naïf. Ce dernier plaidait aussi son expérience, son dossier disciplinaire vierge en trente-cinq ans de pratique, son regret et tous les moyens mis en place pour ne pas récidiver.
L’intimé a aussi demandé au Conseil de tenir compte du fait que la médiatisation de cette affaire lui avait causé un tort important. À ce sujet, le Conseil a affirmé qu’il était d’avis qu’il n’y avait aucune preuve que l’intimé aurait fait l’objet d’une médiatisation hors du commun et qu’il n’y avait donc pas lieu d’atténuer la sanction.
Dans une autre affaire beaucoup plus récente(6), un médecin s’est fait imposer une radiation temporaire d’une durée de cinq mois pour avoir inscrit dans une attestation d’incapacité médicale d’une patiente un décollement placentaire et un risque élevé de fausse couche. Or, ce diagnostic était erroné et n’était d’ailleurs pas confirmé par des examens objectifs. Selon le témoignage du médecin, ce dernier ne voulait pas que sa
patiente enceinte retourne au travail, car elle était en détresse psychologique. Selon le Conseil de discipline, les gestes posés étaient suffisamment graves et minaient la confiance du public à l’égard de la profession du médecin, ce qui justifiait une radiation temporaire de cinq mois.

CONCLUSIONS

On peut tirer certaines leçons de ces décisions. Tout d’abord, nous ne pouvons pas nous fier à la jurisprudence trop ancienne pour déterminer à quel genre de sanctiondisciplinaire le médecin s’expose s’il est jugé responsable d’avoir émis un certificat complaisant. Ceci résulte du fait que, depuis quelques années, les conseils de discipline sont plus sévères à l’égard des médecins qui ont commis des infractions déontologiques jugées sérieuses et qui se situent au cœur de la profession médicale.
Comme nous l’avons vu, un plaidoyer de culpabilité n’est pas systématiquement considéré comme un facteur atténuant et encore moins lorsque la preuve est accablante comme c’est le cas lorsqu’une consultation est enregistrée par vidéo.
Enfin, pour éviter d’être accusé d’avoir émis un certificat de complaisance, il faut constamment se rappeler de l’importance de la véracité des informations inscrites dans un certificat médical et se demander si la durée du congé est réellement justifiée en étant médicalement indiquée. Pour être qualifié de certificat de complaisance, on comprend qu’il faut que ce dernier soit préparé dans le but de plaire au patient, sans être médicalement indiqué. C’est uniquement lorsqu’il a été mis en preuve que le certificat en était un de complaisance et qu’il a donc été formulé dans le but de tromper celui à qui il s’adresse qu’il y a violation de l’article 85 du Code de déontologie des médecins. Pour la grande majorité des médecins, tout cela semble évident, mais il faut retenir de la jurisprudence que d’agir par compassion pour un patient n’est pas un motif valable pour exempter le médecin de ses obligations déontologiques. Vouloir « être un bon médecin » n’équivaut donc pas à prendre des risques inutiles à ce niveau.
RÉFÉRENCES

  1. 1991 CanLII 5774 (QC CDCM).
  2. Rainville c. Magnoux, 1991 CanLII 5774 (QC CDCM), p. 3
  3. 1992 CanLII 8393 (QC TP).
  4. Jusqu’en 1994, la Corporation professionnelle des médecins du Québec.
  5. 2013 CAnLII 871 (QC CDCM).
  6. 2017 CanLII 9738 (QC CDCM).