L’OBLIGATION DE SUIVI POUR LES RÉSULTATS D’EXAMEN CONTINUE DE FAIRE COULER BEAUCOUP D’ENCRE

PAR ME CHRISTINE KARK, AVOCATE ET MÉDIATRICE, CK AVOCATS INC.

Comme médecin, vous pouvez vous trouver dans toutes sortes de situations à risque d’entraîner votre responsabilité sur le plan déontologique. J’ai déjà commenté ce vaste sujet pouvant être traité sous de nombreux angles. J’écris ce texte complémentaire à la demande de médecins qui désirent en savoir davantage sur leurs obligations déontologiques à l’égard du suivi des résultats d’examen dans une démarche clinique.

Bien des médecins se posent des questions et tentent de se prémunir contre des situations où les résultats d’examen « tombent entre deux chaises ». Lorsque cela cause un préjudice au patient, le Collège des médecins du Québec risque d’intervenir, et pour cause : en cas de négligence du médecin dans le suivi médical requis par l’état de santé d’un patient, il faut s’attendre à ce qu’il y ait matière à plainte avec, en cas de reconnaissance de culpabilité, une sanction disciplinaire qui s’ensuivra et dont la teneur dépendra de la nature de l’erreur ainsi que des circonstances particulières. Le Conseil de discipline du CMQ a souvent exprimé par le passé qu’il réalisait que la tâche des médecins était lourde et qu’il y avait fréquemment des distractions de différents ordres dans la pratique médicale quotidienne. Par contre, à son avis, il revient aux médecins de définir leurs propres limites et de ne pas se laisser distraire, car ils doivent respecter leurs obligations déontologiques, sous peine de sanctions. Il ne faut donc jamais présumer qu’on sympathisera avec vous si vous augmentez le débit des patients que vous voyez au détriment de la qualité des soins que vous leur prodiguez.

Considérant le grand nombre d’examens demandé par les médecins, on peut s’imaginer sans difficulté qu’il soit de plus en plus fréquent qu’un médecin n’ait pas pris connaissance d’un résultat d’examen se trouvant quelque part, en suspens. Certaines situations sont évidemment propices à l’erreur, car il existe, comme dans la gestion du suivi d’examens radiologiques, de multiples paliers d’erreurs possibles, surtout avec la transition des résultats sur papier vers leurs versions électroniques. Ces erreurs font généralement surface lorsqu’on remonte la chaîne des événements au moment d’un diagnostic fatal pour le patient. Mes exemples sont inspirés de cas réels rapportés par nos clients, médecins praticiens, ou, bien souvent, par des cas qui ont fait jurisprudence au Québec. Prenons l’exemple d’un examen radiologique que vous demandez dans le cadre de votre investigation d’un patient. Normalement, le médecin demandera à son patient de prendre un rendez-vous pour une visite de suivi à une date ultérieure à celle où il estimera avoir reçu le résultat de son examen. Dans un monde idéal, le patient subira l’examen en question et vous recevrez les résultats avant sa prochaine visite.

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Mais qu’arrivera-t-il si le rapport radiologique n’est pas encore disponible lorsque le patient se trouvera dans votre cabinet de consultation et que votre décision thérapeutique dépendra du résultat d’un tel examen? Que faire alors? Si vous exercez en milieu hospitalier, la dictée du radiologiste sera fort probablement disponible dans le système informatique de l’hôpital, mais devriez-vous l’écouter vous-même avant ou pendant la visite du patient?

Ou encore, simplement dire au patient de revenir, car vous n’avez pas encore reçu le résultat officiel de son examen? Si vous optez pour l’écoute de la dictée du radiologiste, question d’avancer l’investigation clinique de votre patient, vous savez tous que cela ne veut pas dire que vous n’êtes plus obligé de consulter le rapport final du radiologiste. De plus, le rapport final peut contenir des recommandations ou des éléments nouveaux qui ne se trouvaient pas nécessairement dans la dictée initiale du radiologiste. Si vous décidez d’évaluer vous-même les images radiologiques, vous devriez donc vous assurer de prendre aussi connaissance du rapport qui sera par la suite produit par le radiologiste, question d’éliminer toute divergence entre vos lectures respectives, mais également pour prendre connaissance des recommandations liées à toute investigation supplémentaire. Prenons l’exemple d’une jurisprudence récente, qui a abordé ce genre de problème. Elle vous permettra de mieux comprendre les enjeux et les pièges à éviter.

LA LÉSION MALIGNE PASSÉE INAPERÇUE

Récemment, un médecin pneumologue pratiquant dans un centre hospitalier universitaire a été tenu responsable par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec d’avoir manqué à son obligation de faire le suivi d’une lésion suspecte identifiée par le radiologiste qui était appelé à interpréter une radiographie des poumons.

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Le pneumologue, lors d’une visite du patient en novembre 2009, avait lui-même revu la radiographie en question et l’avait interprétée comme normale. Il a ensuite reçu le rapport du radiologiste par voie électronique et a coché les cases concernant son accusé de réception et a confirmé avoir procédé à sa révision. Le pneumologue ne se souvenait pas s’il avait pris connaissance du rapport radiologique qui révélait la présence d’une lésion suspecte de néoplasie maligne pour laquelle le radiologue recommandait une investigation par tomodensitométrie thoracique. Ce n’est qu’en août 2011, lors d’une visite du patient à l’urgence, que le retard de la prise en charge fut découvert. Le patient fut hospitalisé pour un problème de métastases généralisées et il est par la suite décédé d’un cancer du poumon. Il faut savoir que le conseil de discipline a conclu qu’il n’y avait aucune preuve d’un lien causal entre le délai du diagnostic et le décès du patient.

À sa défense, le pneumologue avait précisé qu’il voyait environ 60 patients par jour au moment des événements en cause et qu’il procédait à l’interprétation de milliers de radiographies et de rapports de radiologie. Il a aussi expliqué qu’il ne recevait plus de copie papier des rapports et que sa révision de ceux-ci dans le système informatique lui prenait environ une à deux heures par jour. Il a aussi reconnu lors de son témoignage que le rapport du radiologiste était concis, faisait état de recommandations sérieuses et avait échappé à son attention. Il a ensuite fait témoigner un expert en pneumologie qui a confirmé que l’évaluation des rapports et des résultats faisait partie de l’acte médical. L’argument qu’on a ici voulu avancer était que le pneumologue était en droit de lire les images radiologiques lui-même. Le témoin expert a aussi précisé qu’un pneumologue s’attend à un taux de concordance élevé entre son opinion et celle du radiologiste.

Lors de son témoignage, l’expert a également mis l’accent sur le fait qu’il est impossible de ne pas commettre d’erreurs causées par la distraction, mais sur ce point, il n’est pas arrivé à convaincre le Conseil de discipline qu’une distraction dans la routine était une défense valable. Il a terminé son témoignage en affirmant que la méthode utilisée par le pneumologue visé par la plainte était semblable à celle utilisée par bien des pneumologues au Québec. Pour l’expert retenu par le Collège, tous les médecins prescripteurs doivent obtenir le rapport du radiologiste, qu’il soit sur papier ou rendu disponible par voie électronique. Selon ce dernier, en cas de discordance, comme le radiologiste a une formation plus pointue dans le domaine, c’est le radiologiste qui prend la décision finale.

En somme, le Conseil de discipline n’a pas été impressionné par le témoignage du pneumologue, à savoir qu’il aurait probablement été distrait au moment de la prise de connaissance du rapport en question en 2009. Le Conseil de discipline s’exprimait ainsi : « Le fait que l’intimé nie l’évidence en se retranchant derrière une sémantique bien inutilement lui faire perdre toute crédibilité aux yeux du Conseil de discipline qui est convaincu de sa culpabilité. Comment faire pour évaluer la conduite d’un médecin si ce dernier affirme avoir pris connaissance d’un fait mais ne pas en avoir en conscience ? Le Conseil est d’avis qu’il serait trop facile d’alléger ce genre d’argument sans plus de preuve pour se disculper. L’intimé avait l’obligation déontologique de suivre son patient mais comme il l’avoue, il ne l’a pas fait malheureusement. »

En lisant le commentaire du Conseil de discipline sur ce point, on comprend que ce dernier n’a pas aimé que le médecin ne fût pas en mesure d’offrir une meilleure explication, ce qui, semble-t-il, lui a coûté sa crédibilité. La responsabilité du pneumologue fut retenue, car ce dernier n’avait notamment aucune explication à offrir pouvant justifier son absence de prise de conscience du rapport. Pour le Conseil de discipline, l’insistance du pneumologue sur le fait qu’il était un bon médecin sans antécédent disciplinaire n’a rien apporté au débat, car il mentionne de ne pas avoir le mandat de juger la qualité de sa carrière, mais plutôt de se prononcer sur le reproche contenu dans la plainte.

La défense de diligence a aussi été écartée, car le Conseil de discipline était d’avis que le comportement de l’intimé ne pouvait être assimilé à une erreur ou à une faute excusable. Pour lui, le médecin avait l’obligation déontologique de suivre son patient, ce qui n’a pas été fait. Une déclaration de culpabilité s’est ensuivie et au moment de la rédaction de cet article, la sanction disciplinaire n’était toujours pas connue.

LA MORALE DE L’HISTOIRE?

Dans cette dernière affaire, le Conseil de discipline a estimé que les « distractions font partie de la vie de tous médecins et qu’en fin de compte, ils [les médecins] doivent se prémunir par tous les moyens pour ne pas se faire distraire au moment de la prise de connaissance de rapports lorsqu’ils sont aussi importants pour le suivi de leurs patients ». Peu importe le nombre de patients que vous voyez dans une journée, la pratique médicale actuelle comporte de sérieux risques. Vous avez intérêt, par conséquent, de ralentir votre débit si cela menace votre capacité à suivre vos patients de façon adéquate.

RÉFÉRENCE

  1. 2015 CanLII 24202 (QC CDCM)