PAR ME CHRISTINE KARK

        En janvier 2009, le ministère de la Santé et des Services sociaux et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec ont adopté une politique permettant aux médecins pratiquant en GMF ou hors GMF d’inscrire leurs patients auprès de la RAMQ. Cette mesure vise à aider les patients orphelins à trouver un médecin de famille et à assurer à ce dernier le versement d’un forfait annuel pour chaque patient inscrit et actif.

Certains omnipraticiens se posent des questions sur l’étendue de leur responsabilité légale à titre de médecins de famille ayant inscrit un patient auprès de la RAMQ. Est-ce que cette inscription crée des obligations supplémentaires ? Un patient peut-il prétendre que le médecin inscrit auprès de la RAMQ comme étant son médecin de famille est responsable de faire tous les examens et suivis requis par son état de santé, et ce, même s’il ne le consulte pas sur une base régulière ? Examinons ces questions en détail.

LES OBLIGATIONS LÉGALES DE TOUT MÉDECIN

Avant de parler de l’impact de l’inscription d’un patient, il faut comprendre qu’au Québec, dans l’analyse de la responsabilité légale d’un médecin, ce dernier est tenu à une obligation de moyens et non pas de résultats. Cela signifie que le médecin doit faire preuve d’une conduite raisonnable qui sera, dans le cadre d’un examen de son comportement, comparée à la conduite d’un autre médecin placé dans les mêmes circonstances et agissant d’une manière prudente et raisonnable. Ce n’est que lorsqu’il y aura un écart marqué par rapport au comportement jugé raisonnable que la responsabilité du médecin pourra être engagée.

De façon générale, pour comprendre l’étendue des obligations d’un médecin face au patient, il faut analyser le contenu du contrat médical. Ce contrat est constitué du seul fait qu’une relation médecin-patient a pris naissance. L’ampleur des obligations d’un médecin varie ensuite selon la nature de sa relation avec le patient, qui est influencée par des facteurs tels que la raison de la consultation, le diagnostic posé, le traitement médical, la fréquence des visites, ainsi que le degré de collaboration du patient.

Peu importe que le médecin décide ou non d’inscrire un patient auprès de la RAMQ, en cas de plainte ou de poursuite du patient, c’est le lien contractuel qui fera l’objet d’une analyse qui tiendra compte du comportement du médecin et de celui du patient.

Il est important de comprendre que les obligations d’un médecin qui pratique dans un CLSC, une clinique sans rendez-vous ou à l’urgence d’un hôpital, et qui, de ce fait, ne voit souvent un patient qu’une seule fois pour lui fournir des soins ponctuels, ne sont pas les mêmes que celles du médecin de famille qui assure le suivi d’un patient pendant une plus longue période, notamment en raison de problèmes de santé importants du patient qui peuvent nécessiter des traitements et des soins prolongés.

Lorsqu’un médecin accepte d’assumer le rôle du médecin de famille, la relation avec le patient débute normalement avec un examen complet, complet majeur ou avec un bilan de santé. Dans ces cas, le médecin doit s’assurer de faire l’anamnèse de façon consciencieuse et complète et, lors de l’examen physique, il doit rechercher tous les signes cliniques pouvant l’amener à élaborer son diagnostic. Sur le plan déontologique, il est alors responsable du traitement et du suivi de toute condition qui en découle. De plus, le médecin peut devenir responsable de traiter et de suivre toute condition déjà existante chez le patient lors de la création de cette relation médecin de famille patient.

LE DEVOIR DE COLLABORATION DU PATIENT

Le patient n’a pas seulement des droits, mais aussi des obligations. En effet, le médecin qui assume ou non le rôle du médecin de famille d’un patient doit, en tout temps, pouvoir compter sur sa collaboration.

Dans l’affaire Fisch c. St-Cyr¹, une cause ayant trait à la responsabilité médicale, la Cour d’appel du Québec devait se prononcer sur les obligations respectives des médecins et des patients et décider de la validité d’un jugement rendu par un tribunal inférieur. Avant que la cause arrive en Cour d’appel, le juge de première instance a dû décider si le patient avait commis une faute autant que ses médecins et, ce faisant, s’il avait contribué à ses dommages. Le juge devait donc déterminer s’il fallait retenir la responsabilité des médecins ou la partager entre eux et le patient.

Quant à la notion de responsabilité du médecin, le juge rappelle ceci : « Le patient qui consulte un médecin est en droit de recevoir les services d’un professionnel compétent, attentif, au courant des données de la science et familier avec les usages d’une pratique médicale de bonne qualité. […] ». Et il ajoute plus loin : « le patient qui consulte le médecin n’a pas droit à un résultat précis, parce que la médecine est une science qui a plusieurs limites et parce que, comme tout humain, le médecin peut faire des erreurs. »

Voici les propos du même juge en ce qui concerne les obligations du patient et le partage de la responsabilité: « Le patient doit faire sa part du contrat. […] Parmi les obligations qui incombent au patient, il y a celles de donner toutes les informations pertinentes au problème pour lequel il consulte, d’écouter les informations données, de prendre les mesures de prévention proposées et de suivre les consignes reçues. Lorsque le dommage provient en partie de la faute du médecin, en partie de celle du patient, il y a partage de responsabilité qui peut être inégal selon l’importance des fautes respectives. »

Dans cette affaire, la Cour d’appel a confirmé que la patiente avait bel et bien manqué à son devoir de collaboration et qu’elle était donc en partie responsable du problème de communication survenu entre elle et ses médecins. Toutefois, selon le plus haut tribunal du Québec, la patiente était dépressive et loin d’être dans un état normal, tandis que les médecins avaient aussi manqué à leur devoir de communication.

Dans ces circonstances, la Cour d’appel était d’avis que le juge de première instance avait eu tort d’attribuer la plus grande responsabilité à la patiente, car il fallait plutôt retenir un pourcentage inverse pour partager la responsabilité : en imputer deux tiers aux médecins et un tiers à la patiente.

On peut en conclure que le devoir de collaboration du patient inclut l’obligation de consulter le médecin de famille avec une certaine régularité. De façon générale, on peut donc plus difficilement blâmer un médecin d’un suivi inadéquat lorsque le patient ne s’est pas présenté, comme il le lui avait été suggéré, pour assurer les suivis périodiques qui s’imposaient, à moins, évidemment, d’être en présence de circonstances exceptionnelles.

L’INSCRIPTION DU MÉDECIN DE FAMILLE AUPRÈS DE LA RÉGIE CHANGE-T-ELLE LES OBLIGATIONS LÉGALES DU MÉDECIN?

Dans la relation tripartite qui existe entre le médecin, le patient et la RAMQ, cette dernière est une entité agissant uniquement en tant qu’agent payeur. Comme nous l’avons vu auparavant, il faut plutôt analyser la nature de la relation qui existe entre le médecin et son patient pour déterminer précisément les obligations du médecin. En ce sens, l’inscription d’un patient à la RAMQ ne crée pas en soi de nouvelles obligations pour le médecin.

En revanche, puisque l’inscription d’un patient procure au médecin un forfait annuel, le médecin doit bien comprendre que cette inscription peut être invoquée par le patient pour tenter d’établir une situation factuelle de prise en charge. Ici, la compréhension qu’a le patient de sa relation avec son médecin est un élément qui n’est pas sans importance, tout comme c’est le cas en matière de consentement. Le contrat médical peut être écrit ou implicite. On peut facilement imaginer un débat portant sur l’étendue des obligations d’un médecin dans le cas d’un patient qui invoquerait avoir considéré que le médecin qu’il consultait et qui était inscrit comme tel à la RAMQ était vraiment « son médecin de famille ». D’ailleurs, comme il l’est prévu à l’article 3.01 de l’Entente particulière applicable aux omnipraticiens (brochure no1), un médecin qui inscrit sa clientèle doit accepter d’assurer, pour chaque patient inscrit, la prise en charge et le suivi des soins requis par son état de santé, ce qui inclut, s’il y a lieu, les examens périodiques, le suivi des examens de laboratoire et la gestion de la médication.

En somme, cela n’aurait pas de sens qu’un médecin reçoive un forfait annuel de la RAMQ sans avoir une responsabilité accrue à l’égard des patients inscrits à son nom. Mais qu’arrive-t-il si le patient inscrit ne se présente pas pour les visites annuelles ? Prenons l’exemple d’un patient qui ne se présente pas à ses rendez-vous annuels et qui découvre, plus tard, qu’il est atteint d’un cancer. Que se passerait-il si ce patient décidait de blâmer son médecin pour le délai de diagnostic, en invoquant le fait que celui-ci était son médecin de famille et qu’il aurait dû recommander certains examens de dépistage ? Il s’agit d’une question complexe qui ne peut être abordée en profondeur dans le cadre de cet article, mais il faut retenir que le tribunal aurait la tâche difficile de déterminer non seulement si le médecin a commis une faute, mais également si elle a entraîné, pour le patient, la perte d’une chance réelle et sérieuse de profiter des soins de santé appropriés.

Un patient peut avoir consulté plusieurs médecins différents au fil des ans et on peut se demander lequel parmi eux agissait réellement comme médecin de famille. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’inscription en soi ne crée pas d’obligations déontologiques spécifiques, mais il faut être prudent, car elle peut certainement aider les patients à faire la preuve de l’existence du contrat médical. Il est clair que chaque situation est un cas d’espèce qu’il faudra analyser selon les circonstances de l’affaire, mais il n’empêche que cette question porte à réfléchir.

Quant à la RAMQ, elle assure un certain contrôle du versement des forfaits annuels aux médecins de famille en vérifiant que les patients inscrits auprès d’eux les consultent au minimum une fois tous les trois ans. Si cette condition n’est pas remplie, c’est-à-dire qu’un patient n’est plus considéré comme actif au 1er janvier de l’année du versement du forfait d’inscription, le médecin ne recevra plus le forfait annuel pour ce patient.

En résumé, malgré le fait que l’inscription d’un patient à la RAMQ par un médecin ne modifie pas ses obligations légales, il est important de sensibiliser les médecins qui procèdent systématiquement aux inscriptions de leurs patients auprès de la RAMQ. Cette pratique présente, selon nous, certains risques médico-légaux. Et en cas de poursuite, dans l’analyse du contrat médical et des termes sur lesquels les parties se sont entendues, un tribunal tiendra fort probablement compte des dispositions de l’Entente particulière applicable aux omnipraticiens en ce qui concerne l’engagement du médecin qui a procédé à l’inscription d’un patient pour statuer sur la nature de la relation thérapeutique entre ces derniers.

RÉFÉRENCE
¹ 2005 QCCA 688, par. 48.

Source: http://santeinc.com/2014/01/forfaits-annuels-de-la-ramq/