Nous allons vous parler aujourd’hui d’une belle victoire remportée par un chirurgien plasticien. Pour les motifs énoncés dans sa décision du 24 août 2010 (2010 QCCA 1505), la Cour d’appel du Québec a rejeté l’appel d’un jugement rejetant une action intentée par une patiente qui avait subi une abdominoplastie et une liposuccion des cuisses et des genoux.
Il faut dire que la patiente était satisfaite des résultats de l’abdominoplastie, mais se plaignait de l’apparence de ses genoux en raison de l’apparition de dépressions concaves, le genou gauche présentant une dépression nettement plus prononcée que le genou droit, concavités qui nécessitaient, selon le chirurgien plasticien poursuivi, de nouvelles interventions mineures afin de corriger cette déficience par lipogreffes. En première instance, la Cour du Québec avait rejeté l’action contre le chirurgien plasticien pour dommages corporels et préjudice esthétique, et la plaignante a porté cette décision en appel.
Cette décision de la Cour d’appel du Québec contient des énoncés intéressants sur les règles de l’art à observer dans le domaine de la chirurgie esthétique. Comme nous le verrons plus loin, les experts retenus n’ont pas mis en cause la technique opératoire utilisée lors de la liposuccion, mais ils se sont plutôt contredits sur la mise en application de cette technique, le bien fondé de l’intervention, les dimensions et l’ampleur des dépressions notées et sur la prévisibilité du résultat de cette chirurgie. Résumons sommairement la chronologie des événements.
LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
En première instance, la patiente prétendait que l’intervention était contre- indiquée, car elle souffrait de surpoids, qu’elle n’avait pu donner un consentement libre et éclairé, que son dossier médical était incomplet avec une version des faits qui ne corroborait pas la réalité et que la technique opératoire utilisée par le chirurgien plasticien n’était pas conforme aux règles de l’art. La tâche du juge de première instance était d’évaluer la valeur probante des témoignages d’experts. Ce juge a conclu que l’intervention était indiquée malgré le surpoids de la patiente. Selon lui, celle-ci a consenti à l’intervention en toute connaissance de cause et aucune faute professionnelle n’a été commise par le chirurgien défendeur dans l’utilisation de la technique opératoire. De plus, le juge est d’avis que la chirurgie corrective proposée par le plasticien constituait un remède approprié.
NORME D’INTERVENTION EN MATIÈRE DE PREUVE PAR EXPERT
Le témoin expert retenu par la patiente était d’avis qu’il y avait eu application fautive de la technique par aspiration qu’il jugeait «excessive et intempestive», tandis que l’expert du défendeur ne partageait pas cette opinion. Selon ce dernier, la quantité de liquide aspiré varie d’un patient à l’autre et fait plutôt appel au jugement et à l’expérience du chirurgien, car ce dernier doit juger de la quantité de graisse qu’il faut laisser en place lors de son intervention.
Les juges de la Cour d’appel ont d’abord discuté de la norme d’intervention en matière de preuve par expert, en précisant que le juge de première instance a l’avantage d’examiner la preuve documentaire et d’entendre les témoins, tandis que le juge en appel n’est pas là pour réévaluer la crédibilité des témoins, sauf exception. Que faire donc lorsque deux experts sont chacun incontestablement qualifiés dans leur domaine, mais qu’ils donnent des versions qui divergent complètement lors d’un procès? Selon la Cour d’appel, le juge du procès jouira d’une marge d’appréciation pour tirer ses conclusions à cet effet et devra statuer compte tenu du fardeau de preuve et du degré de preuve appro- prié. Elle cite un arrêt unanime qui précise trois éléments : (1) il n’est pas du rôle d’une instance d’appel de refaire le procès; (2) l’évaluation des composantes de la responsabilité doit se faire dans un paramètre spatio-temporel d’origine; (3) le juge de première instance est libre de croire un expert au détriment d’un autre puisqu’ayant pu les voir et entendre, il a pu ainsi évaluer leur crédibilité.
LA FAUTE CIVILE VERSUS UNE SIMPLE ERREUR DE JUGEMENT
Dans son jugement, le juge de première instance a rappelé que le chirurgien poursuivi avait admis avoir «enlevé une quantité excessive de graisse au niveau de la face interne des genoux de la demanderesse lors de la liposuccion». Le travail du premier juge était de distinguer la faute civile d’une erreur de jugement. Lors de l’appel, le procureur de la patiente prétendait que la formulation utilisée par le juge était incorrecte et laissait entendre que le chirurgien avait fait «l’aveu» d’une faute professionnelle. À l’appui de cet argument, il a fait référence à une doctrine qui critique la distinction entre l’erreur et la faute civile dans l’évaluation de la conduite d’un médecin. Selon cette doctrine, cette distinction laisse sous-entendre qu’en matière de responsabilité médicale, on applique un standard moins élevé que le standard de droit commun en pardonnant au médecin certains comportements.
Ici, il faut noter que la qualification juridique de la conduite du chirurgien était primordiale, car la simple erreur ne génère pas la responsabilité civile au Québec. Selon la Cour d’appel, les conclusions du juge de première instance reposent sur une distinction appropriée entre la faute civile et l’erreur et elle conclut que «rien dans les motifs du juge ne permet de penser qu’il s’est mépris sur les règles applicables». De plus, elle rappelle que la jurisprudence et la doctrine ont clairement établi que «les professionnels de la santé ne devraient pas être tenus responsables de simples erreurs de jugement, qui sont distinctes de la faute professionnelle».
La Cour d’appel explique que, dans le domaine médical, l’erreur est souvent étudiée à la lumière du succès d’un traitement ou d’une intervention et elle estime qu’il «est normal que la science médicale tienne à répertorier «ces erreurs», car la compréhension d’échecs thérapeutiques passés peut faire découvrir leurs causes et augmenter la probabilité des succès futurs». La Cour d’appel ajoute qu’un tel raisonnement n’a toutefois pas sa place en responsabilité civile et rappelle que l’intensité de l’obligation d’un professionnel de la santé en demeure une de moyen et non de résultat, que la finalité de l’acte effectué soit d’ordre thérapeutique ou esthétique. Elle conclut que ce moyen d’appel est sans mérite et ajoute que le chirurgien, en admettant d’avoir enlevé une quantité excessive de graisse, a simplement reconnu «un fait de nature thérapeutique qui pouvait être ou ne pas être un indice de faute» et qu’il revenait au juge, comme ce fut le cas, de faire la qualification juridique de ce comportement.
LE CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ DE LA PATIENTE
Nous savons qu’en matière de consentement, un médecin est débiteur envers son patient d’une obligation de lui fournir les informations qui lui permettront de don ner un consentement libre et éclairé. On analyse le comportement du médecin plutôt que les attentes du patient relativement à l’obligation de renseignement. La Cour d’appel rappelle qu’en matière de chirurgie esthétique, le devoir d’information est encore plus important que dans les autres spécialités de la médecine, car le plasticien doit non seulement divulguer les risques associés à l’intervention, mais également énumérer les conséquences potentielles qui peuvent survenir après l’intervention chirurgicale. Par contre, en citant le juge Vallerand dans l’affaire Dulude c. Gaudette, la Cour rappelle que le chirurgien, dans cette situation, n’est «pas tenu d’offrir une leçon en médecine».
En l’espèce, la patiente prétendait qu’elle n’avait pas pu donner un consentement libre et éclairé à l’intervention, car le chirurgien a manqué à son obligation d’information à son égard, notamment en ne l’ayant pas avertie des possibilités que des irrégularités, comme celles survenues, puissent arriver à la suite de l’intervention. La Cour d’appel ne retient pas cet argument car, selon la preuve, la patiente avait consulté d’autres chirurgiens plasticiens et elle était suffisamment informée de la possibilité d’une complication. De plus, la Cour d’appel ajoute ceci: «ce n’est pas parce qu’elles [les dépressions] sont plus accentuées qu’automatiquement, il faut conclure à une erreur professionnelle du défendeur.» De toute façon, selon la Cour d’appel, c’est à bon droit que le juge de première instance a considéré que les chirurgies correctives sont fréquentes en matière de liposuccion.
UNE ASPIRATION EXCESSIVE PAR LIPOSUCCION ÉQUIVAUT-ELLE À UNE FAUTE CIVILE OU À UNE ERREUR DE JUGEMENT?
Revenons à la divergence d’opinions entre les experts quant à la mise en application,
plus spécifiquement, le contrôle en cours de procédure de liposuccion de la quantité de graisse et liquide aspirée. Selon l’appelante, l’envergure des dépressions notées sur ses genoux était la preuve concrète de la dérogation aux règles de l’art. Elle a prétendu que le préjudice qu’elle avait subi n’était pas documenté dans la littérature médicale, et que le juge devait conclure à une mauvaise application de la technique opératoire en raison de l’ampleur de ses irrégularités.
Selon l’expert de l’intimé, une aspiration excessive fait partie des complications in- hérentes reliées à une liposuccion et, selon lui, la cause des irrégularités était peu importante, car l’intervention avait été effectuée selon les règles de l’art et qu’on pouvait rectifier les dépressions par une chirurgie additionnelle. La question était donc de savoir si les dépressions, par leurs dimensions, dépassaient les limites des irrégularités reconnues comme risque inhérent à une liposuccion.
La Cour d’appel note un débat fort intéressant entre les experts sur la possibilité de procéder à une greffe de graisse corrective au cours de l’intervention et se dit perplexe devant le fait que l’expert en demande n’a jamais entendu parler de cette possibilité qui est toutefois documentée dans des traités réputés sur la chirurgie plastique cités par l’expert en défense.
La Cour d’appel remarque aussi que la documentation produite par l’expert en défense ne fournit pas d’échelle précise pour mesurer et comparer les irrégularités en cause avec celles qualifiées de complications communes en matière de liposuccion. Malgré cela, la Cour d’appel conclut que le juge de première instance pouvait favoriser l’expertise de la défense sans commettre d’erreurs révisables.
CONCLUSION
Il est rassurant de voir que, malgré le devoir d’information important en matière de chirurgie esthétique, un plasticien n’est pas automatiquement responsable lorsque des complications surviennent. Il peut arriver qu’un patient soit mécontent du résultat d’une chirurgie esthétique, mais la Cour d’appel du Québec rappelle que vous avez le droit de commettre des erreurs et qu’elles n’équivaudront pas dans tous les cas à une faute entraînant votre responsabilité civile. Je vous invite à faire la lecture de cette décision. sans commettre d’erreurs révisables.
Source: http://www.santeinc.com/file/nov10-10.pdf
malgré que la chirurgie esthétique présente plusieurs risques, mais on reste toujours une solution efficace pour avoir une belle silhouette d’une façon rapide et optimale.