La facturation des frais accessoires à des services assurés a beaucoup augmenté et est même devenue une préoccupation importante pour le gouvernement…


La médecine en cabinet privé a évolué au cours des dernières années. L’implantation de groupes de médecine de famille (GMF), la création des coopératives et l’avancement des technologies permettent désormais aux médecins d’accomplir certains actes médicaux dans des cliniques de chirurgie ou parfois en cabinet privé, alors qu’autrefois, ces services ne pouvaient être rendus qu’à l’hôpital. Ce transfert d’un nombre croissant d’actes médicaux de l’hôpital vers la clinique a fait en sorte que la facturation des frais accessoires à des services assurés a beaucoup augmenté et est même devenue une préoccupation importante pour le gouvernement. Pourquoi? Dans un système de santé public comme le nôtre, la confiance du public est un facteur important et les patients se plaignent régulièrement auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) des factures pour frais accessoires qu’ils ont dû payer afin de recevoir des soins médicaux qui, eux, sont considérés comme assurés, c’est-à-dire payés aux médecins par la RAMQ.

La question qu’il faut se poser réellement est la suivante : qui doit payer les frais de fonctionnement des cliniques privées? Nous voulons tous bénéficier d’une meilleure accessibilité aux soins de santé et contribuer à l’amélioration de la qualité des soins.
Toutefois, il est clair que la surfacturation des frais accessoires à des services assurés est illégale et choque l’opinion publique. En effet, notre système de santé est conçu pour offrir des soins à l’ensemble de la population, sans égard à la capacité de payer du citoyen. Une facture pour des frais accessoires, qui dépasse parfois même de loin le montant que le médecin reçoit de la RAMQ pour l’acte médical assuré, peut donc être jugée abusive. Et ce, d’autant plus que le patient doit bien souvent subir un examen diagnostique rapidement et n’a donc pas d’autre choix que d’accepter les frais accessoires facturés par le médecin ou la clinique afin d’éviter les longs délais d’attente à l’hôpital. Or, plus la facture des frais accessoires est élevée, plus le patient peut avoir l’impression de payer indirectement pour des services qui sont par ailleurs assurés. Sachez que la RAMQ et le Collège des médecins du Québec surveillent la facturation reliée à des services médicaux afin qu’elle demeure transparente, cohérente et raisonnable.
Nous verrons ce que les médecins ou tiers (cliniques médicales) peuvent facturer comme frais accessoires à des services assurés. Sachez toutefois qu’une clarification législative de la question des frais accessoires s’impose pour refléter la nouvelle réalité de la pratique médicale en clinique privée.

UN PEU D’HISTOIRE

En 2007, un comité a été mis sur pied par le Dr Philippe Couillard, à l’époque ministre de la Santé et des Services sociaux, afin d’analyser la problématique reliée à l’augmentation de la facturation de frais aux patients. Ce comité a soumis son rapport à l’ancien ministre en recommandant au gouvernement de redonner aux cabinets privés de médecine une vitalité et un attrait qui leur permettraient de maintenir et d’améliorer leur contribution à l’accessibilité aux services de santé.
Des recommandations plus spécifiques ont été formulées par le comité concernant les frais facturables aux patients, comme celle d’une mise à jour de ces frais pour inclure les pansements, le matériel chirurgical, les tests diagnostiques disponibles en cabinet, ainsi que
certains ajouts compatibles avec la Loi canadienne sur la santé. De plus, le comité recommandait que soit revue la possibilité d’élargir la liste des frais facturables aux patients. Enfin, quant aux règles de facturation, le comité suggérait qu’elles soient élaborées dans l’esprit des règles de déontologie médicale, qu’il y ait transparence et cohérence des grilles tarifaires et identification du médecin et des services facturés, et ce, dans le but de préserver la confiance du public.
Depuis ce rapport, nous attendons toujours du gouvernement une action relative à ces recommandations sur la question des frais accessoires. Car aujourd’hui, si on s’en tient à une interprétation stricte des ententes actuelles régissant la facturation des omnipraticiens et celles des médecins spécialistes, seuls les médicaments, les agents anesthésiques et les pansements peuvent être facturés aux patients.

PAYER DES FRAIS ACCESSOIRES POUR RECEVOIR DES SERVICES MÉDICAUX ASSURÉS

Exam
inons maintenant la situation des médecins rémunérés par la RAMQ pour la prestation d’actes médicaux (services assurés) alors que le patient a reçu ces services dans une clinique médicale privée.
Comment récupérer en toute légalité les frais de fonctionnement d’une clinique privée? Ces dernières répondent à un besoin de la population et il faut assurer leur survie. D’un autre côté, il ne faut pas perdre de vue la question de l’accessibilité aux soins. Une chose
est sûre : une facturation abusive attirera tôt ou tard l’attention de la RAMQ ou du Collège des médecins.
Comment assurer une saine administration d’une clinique ou d’un cabinet privé sans qu’on puisse prétendre qu’il y a abus en raison d’une surfacturation de frais aux patients?
Nous avons vu que les médias s’intéressent à la question des frais accessoires facturés aux patients par certaines cliniques privées pour des interventions médicales payées aux médecins par la RAMQ. Certains patients ont déposé des plaintes officielles auprès de la RAMQ, alors que d’autres se sont adressés au Collège des médecins du Québec pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme des pratiques abusives concernant la facturation de frais accessoires.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Le 9e alinéa de l’article 22 de la Loi sur l’assurance maladie interdit à toute personne
« d’exiger ou de recevoir tout paiement d’une personne assurée pour un service, une fourniture ou des frais accessoires à un service assuré rendu par un professionnel de la santé soumis à l’application d’une entente ou par un professionnel désengagé, sauf dans les cas prescrits ou prévus dans une entente et aux conditions qui y sont énumérées ».
Comme les ententes sont incorporées dans vos manuels de facturation, pour les omnipraticiens, la règle 1.1.4 du préambule général du manuel prévoit que le médecin ne peut demander au patient quelque paiement en rapport avec la dispensation d’un service médical, sauf disposition contraire au présent tarif. Cette règle énonce que le médecin peut toutefois obtenir du patient compensation pour le coût des médicaments et des agents anesthésiques utilisés.
Pour les médecins spécialistes, la règle 2.1 du préambule général du manuel de facturation prévoit ceci : « En cabinet privé, le médecin spécialiste peut demander au malade compensation pour certains frais de pratique, que détermine ce tarif. Ces frais comprennent les médicaments et les agents anesthésiques. »
Est-ce que cela signifie qu’un professionnel de la santé peut facturer au patient uniquement des médicaments et des agents anesthésiques? Pour les médecins spécialistes, la règle 2.1 manque de clarté, mais la mention de « ces frais comprennent » suggère que cela peut concerner autre chose, mais quoi? Impossible de répondre avec certitude à cette question sans clarification législative ou intervention des tribunaux.

LES FRAIS ACCESSOIRES, MAIS À QUEL PRIX ?

Dans sa grille tarifaire, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) stipule que les médecins spécialistes peuvent facturer des frais accessoires comme des médicaments, des agents anesthésiques, des stérilets et du matériel pour plâtre et attelle. Pour cette catégorie, la FMSQ suggère une grille de tarifs, et on remarque que le coût des médicaments peut varier de 20 à 100 $.
Selon les renseignements complémentaires fournis aux médecins par la FMSQ, lorsque les frais exigés du patient pour divers médicaments ou services excèdent les tarifs suggérés par cette grille, on recommande alors aux médecins de l’indiquer séparément. Mais attention, il faut se rappeler que cette facturation doit être faite de manière raisonnable.
La grille tarifaire de la FMSQ n’a pas de valeur légale, mais ce n’est pas une mauvaise idée de la suivre pour établir les tarifs des frais accessoires, et ainsi vous éviter des ennuis avec vos patients ou avec la RAMQ. Or, il faut savoir que les tarifs suggérés dans cette grille le sont à titre indicatif seulement et que la FMSQ précise que cette grille tarifaire ne peut engager sa responsabilité.
Cela dit, même si vous ne suivez pas la grille tarifaire, cela ne signifie pas pour autant que votre facturation est automatiquement illégale. Les prix des médicaments ou agents anesthésiques facturés aux patients doivent, à mon avis, vous permettre ainsi qu’aux administrateurs de la clinique, de faire un profit raisonnable qui tient également compte des coûts indirects, tels que l’entreposage et le contrôle de l’inventaire. Cependant, bien qu’un produit puisse être facturé au patient au double ou au triple de son coût réel, rien n’empêche un patient de déposer une plainte à la RAMQ pour pratique abusive.
À ce sujet, souvenez-vous du recours collectif intenté contre certaines cliniques d’ophtalmologie privées qui facturaient des frais accessoires importants lors du traitement de la dégénérescence maculaire (200 $ pour des gouttes ophtalmologiques préparatoires administrées aux patients, qui ne leur coûtaient en réalité qu’une quinzaine de dollars). Ce recours a mené à une entente avec le gouvernement qui a rétabli la gratuité du médicament Lucentis, lequel est administré pour traiter cette maladie. La morale de cette histoire? On ne sait toujours pas ce qui peut être jugé raisonnable pour la facturation d’un médicament, car il n’y a pas que le Lucentis qui puisse être remis en cause.

QU’EN PENSE LA RAMQ?

Selon la RAMQ, les frais accessoires à des services assurés rendus par des médecins participants ou désengagés qui peuvent être réclamés sont les suivants : frais de médicaments, de substances anesthésiques, et on ajoute des stérilets, du matériel pour plâtre, des attelles et du taping. Il est aussi permis, selon la RAMQ, de facturer des frais pour les services connexes optionnels, soit des frais de plâtres en fibre de verre, de photocopies de dossier à la demande du client et de copie numérique d’un examen diagnostique.
Toutes ces informations sont disponibles sur le site web de la RAMQ1. Quant aux frais pouvant être facturés aux patients par les cliniques privées, on peut partir du principe que les mêmes règles s’appliquent.

TOUS LES TARIFS DOIVENT ÊTRE AFFICHÉS

La Loi sur l’assurance maladie du Québec exige qu’un médecin soumis à une entente, un médecin désengagé qui exerce dans un cabinet privé, ou un médecin soumis à l’application d’une entente qui exerce dans un CMS au sens de la Loi sur la santé et les services sociaux, doit afficher à la vue du public, dans la salle d’attente du cabinet ou du centre médical spécialisé où il exerce, le tarif des services, fournitures et frais accessoires prescrits ou prévus dans une entente qu’il peut réclamer d’une personne assurée. Une même affiche peut servir pour les médecins qui ont une salle d’attente en commun.
À cet égard, on note que la Loi sur l’assurance maladie prévoit aussi qu’aucune autre somme d’argent que celle affichée ne peut être réclamée d’une personne assurée, directement ou indirectement.

L’ASSURANCE D’UNE FACTURE DÉTAILLÉE

L’article 22.0.0.1 de la Loi sur l’assurance maladie prévoit le droit d’une personne
assurée à l’obtention d’une facture détaillée pour les soins reçus. Cette facture doit indiquer non seulement le tarif réclamé pour chacun des services, fournitures et frais accessoires, mais également les services médicaux non assurés ou non considérés comme assurés.
Enfin, ce même article prévoit qu’il faut aussi inscrire à la fin d’une facture une note indiquant au patient son recours possible dans l’éventualité où des frais lui auraient été réclamés contrairement à la Loi sur l’assurance maladie.

RÉCUPÉRATION PAR LA RAMQ DE FRAIS ILLÉGALEMENT FACTURÉS

Les personnes assurées qui croient avoir été surfacturées pour des services médicaux peuvent s’adresser par écrit à la RAMQ. En vertu des dispositions de la Loi sur l’assurance maladie, la RAMQ dispose le pouvoir de rembourser au plaignant la somme versée en contravention de cette loi. Que se passe-t-il ensuite? De façon générale, la RAMQ s’adresse au professionnel de la santé pour le recouvrement du montant remboursé au patient, et ce, même si un tiers, en l’occurrence une clinique privée, a exigé et obtenu le paiement de frais accessoires sans les partager avec le médecin. La loi permet aussi à la RAMQ d’ajouter des frais d’administration et de recouvrer les sommes par compensation.
Sachez donc qu’en tant que professionnel de la santé, vous êtes directement concerné par la facturation des frais accessoires à des services assurés, même si vous ne touchez rien de ces montants.

CONCLUSION

Une clarification de la question des frais accessoires est devenue nécessaire, car il peut s’avérer insuffisant de facturer uniquement pour les médicaments, agents anesthésiques et pansements. D’un côté, il faut assurer le bon fonctionnement des cliniques privées, ce qui comprend le financement adéquat de l’infrastructure et des fournitures médicales, sans oublier la rémunération du personnel. D’un autre côté, il faut éviter une facturation exorbitante qui peut être jugée abusive et empêcherait l’accès aux soins de santé par une clientèle vulnérable qui n’a souvent pas les grands moyens financiers.
Enfin, dans le contexte actuel, pour les frais accessoires à des soins assurés, une facturation plutôt conservatrice peut vous éviter bien des ennuis. Il est aussi très important de bien informer le patient à propos des frais qu’il devra payer pour chacun des services, fournitures ou frais accessoires qu’il recevra.
RÉFÉRENCE
1http://www.ramq.gouv.qc.ca/fr/professionnels/medecins-specialistes/facturation/legalite- frais-demandes/Pages/medecin-participants-desengages.aspx
Source: http://santeinc.com/2012/08/la-facturation-des-frais-accessoires/