Aujourd’hui, je vous parlerai du traitement des plaintes disciplinaires en milieu hospitalier. Il y a beaucoup à écrire à ce sujet, mais je vais tenter de résister à la tentation de citer en long et en large les diverses dispositions législatives et règlements applicables  en la matière,  car je risquerai  de perdre quelques lecteurs qui ne partagent pas  nécessairement ma passion  pour le domaine  juridique…
Je me limiterai donc à vous expliquer ce que vous devez nécessairement  savoir sur ce sujet, en espérant que  cette  information vous sera  utile si vous apprenez un jour qu’une plainte a été logée contre  vous  au  centre  hospitalier dans lequel vous œuvrez.
Il  faut  d’abord  savoir  qu’il y avait  une volonté législative de faire assumer par vos pairs  le contrôle  et la qualité  des  actes médicaux dispensés au sein d’un établissement  hospitalier (ci-après « centre hospitalier ».) Bien que la Loi sur les services de santé et les  services  sociaux  («LSSSS») prévoit spécifiquement que la décision ultime quant  à la sanction  d’une conduite  d’un médecin  relève du conseil d’administration d’un centre hospitalier, il est clair que le Conseil des médecins, dentistes  et pharmaciens  («CMDP») est  au  cœur du contrôle  des  activités des  médecins en centre hospitalier. En effet, c’est son comité  exécutif qui recommande au dit conseil d’administration les sanctions  appropriées  à imposer à un médecin.
Un régime particulier a été instauré par la LSSSS et, avec cet encadrement juridique, le législateur a voulu que le comportement d’un médecin  soit analysé par ses  pairs, en  l’occurrence  le comité  de  discipline, tout en confiant des rôles spécifiques  au médecin  examinateur,  au comité exécutif du CMDP et au conseil d’administration de l’établissement,  qui peuvent aboutir à une mesure  disciplinaire.
Pourquoi a-t-on prévu que c’est le conseil d’administration qui aurait le dernier mot? Celui-ci dispose tout d’abord d’un pouvoir général  de gestion du centre  hospitalier. Le fondement des dispositions législatives repose également sur la relation juridique particulière qui existe entre le médecin  et le centre hospitalier. Par conséquent, il est logique qu’il revienne  au conseil d’administration  d’imposer  des  mesures disciplinaires, car c’est lui qui détient l’autorité quant à l’octroi d’un statut et des privilèges à un médecin  aux termes des articles 237 à 243 de la LSSSS.
Première  différence avec une plainte disciplinaire  logée auprès  du  Collège des médecins du Québec (le Collège) : même dans le cas des pires reproches, les mesures disciplinaires  qui  peuvent  être prises à l’encontre d’un médecin  peuvent aller d’une simple réprimande jusqu’au retrait du statut et des privilèges. Cela dit, ces mesures ne peuvent pas affecter le permis de pratique  du médecin  émis par le Collège. Cependant, vous devez savoir que si des mesures disciplinaires sont imposées par le conseil d’administration du centre hospitalier, celui-ci se doit d’en informer le Collège, lequel  pourrait  déclencher son propre processus disciplinaire.
J’ignore si cela peut vous rassurer,  mais si vous êtes en désaccord avec une décision prise  par  le conseil  d’administration  de votre centre  hospitalier,  vous demeurez entièrement libre de quitter vos fonctions. Cela vaut uniquement dans  la mesure  où votre départ  ne viole ni l’engagement que vous avez pris auprès du centre  hospitalier ni les dispositions de la LSSSS, plus particulièrement l’article 254  de cette  loi qui exige que vous donniez un préavis de 60  jours au  conseil  d’administration  du centre hospitalier.
LE RÔLE DU MÉDECIN  EXAMINATEUR
Il existe une procédure complète de traitement des plaintes, qui a été instaurée  par le  législateur  au  bénéfice  de  l’usager. Ainsi, lorsqu’une plainte est déposée par un usager  qui remet en question  la qualité des  soins ou des  services  médicaux, cette  plainte est acheminée au médecin examinateur.  Celui-ci possède le pouvoir, selon les articles 46 et 47 de la LSSSS, d’examiner lui-même  la plainte ou de la référer  au  CMDP pour  étude  à des  fins disciplinaires par un comité constitué à cette  fin. Le médecin  examinateur  peut également rejeter une plainte lorsqu’il juge qu’elle est  frivole, vexatoire ou  faite de mauvaise  foi. Un usager  insatisfait de la décision du médecin examinateur pourrait ensuite  s’adresser  au comité de révision.
Pour toute autre  plainte logée contre  un médecin (par exemple, par un collègue, un membre  du personnel  ou par l’administration), il reviendra d’abord au comité exécutif du  CMDP de  former  un  comité  de discipline. Ce comité de discipline est composé d’au moins trois membres actifs du CMDP. Son mandat  est de faire enquête et de constater les faits. Comme nous l’avons mentionné  plus haut, seul le conseil d’administration du centre  hospitalier est autorisé par la LSSSS à imposer une mesure disciplinaire à l’encontre d’un médecin.
LES FONCTIONS DU COMITÉ DE DISCIPLINE
Le gouvernement  a adopté  le Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements («le Règlement») lequel détermine  la procédure selon laquelle des mesures disciplinaires peuvent  être prises par le conseil d’administration à l’égard d’un médecin,  d’un dentiste  ou d’un pharmacien, de même  qu’à l’égard d’un résident, titulaire d’un statut attribué par le conseil.
Le  Règlement   prévoit,  à  l’article 107, qu’un comité de discipline a pour fonction d’étudier, à la demande du comité exécutif, une plainte concernant « la qualité des services fournis par un médecin,  un dentiste ou un pharmacien, sa compétence, sa  diligence,  sa  conduite  ou son observance du présent règlement, des règlements du centre hospitalier ou de ceux du conseil des  médecins et dentistes ». En d‘autres termes, le comité étudie et évalue les faits et gestes reprochés au médecin.
LE DROIT DU MÉDECIN DE CONNAÎTRE CE QU’ON LUI REPROCHE ET SON DROIT D’ÊTRE ENTENDU
Selon la jurisprudence, la plainte dont fait l’objet le  médecin doit  permettre à  ce dernier  de savoir ce qui lui est reproché. Les tribunaux ont affirmé que « la rédaction et la procédure de plainte d’un usager et, par extension, je crois, une plainte de toute autre  source  en vertu de la loi se doivent d’être souples  pour  des  raisons d’efficacité ». Malgré cette souplesse, une plainte doit comprendre tous les éléments nécessaires permettant à la personne visée par la plainte de connaître les faits qui lui sont reprochés. Dans une décision rendue le 14 avril 2004, l’honorable Jacques Dufresne, juge de la Cour supérieure du Québec, a déclaré nulle une plainte formulée par la directrice générale du centre hospitalier et a mis fin à toute audition de la plainte disciplinaire, car elle ne permettait pas au médecin de savoir ce qui lui était généralement reproché. L’honorable Dufresne a écrit:
«Se satisfaire d’une plainte qui ne fournit pas ses éléments de base pour entreprendre une enquête ou à continuer ne peut que discréditer le processus.»
Il  est  important  de  comprendre que  le respect  des  règles de l’équité procédurale  s’applique  dans  le cas  du  traitement  des  plaintes  disciplinaires. Compte tenu du fait qu’une mesure  disciplinaire peut aller jusqu’au retrait des privilèges, il  est  essentiel  de permettre au  médecin  de  savoir ce  qu’on lui reproche,  afin de lui donner  la chance de présenter ses moyens de défense  avant de lui imposer une mesure  disciplinaire. Ce droit s’inscrit dans  le respect  des règles de justice naturelle.
Dans le cadre  de son étude  de la plainte, le comité de discipline prend connaissance  des  documents, et  le Règlement prévoit  également  qu’il doit  donner au médecin  l’occasion de se faire entendre. De plus, son avocat est également autorisé à s’adresser  au comité de discipline. En pratique, le comité de discipline commence généralement par entendre le plaignant,  mais celui-ci ne témoigne pas dans tous les cas. Ce témoignage a généralement  lieu  en  absence du médecin pour ne pas augmenter l’inconfort du plaignant. Par  contre,  une  transcription  du  témoignage,  si celle-ci  est disponible,  est remise  au médecin  dans une  période  raisonnable,  avant  qu’il ne soit  invité à  témoigner  à  son  tour.  Le comité de disciplinaire peut aussi décider d’entendre  toute  autre  personne dont  il juge le témoignage utile.
LE RÔLE DU CONSEIL  D’ADMINISTRATION DU CENTRE HOSPITALIER
L’article 249  de  la LSSSS stipule  qu’un conseil d’administration peut prendre  des mesures disciplinaires à l’égard d’un médecin  ou d’un dentiste.  Dans cet arti- cle, il est prévu que :
«Les mesures disciplinaires qui peuvent être prises vont de la réprimande, le changement de statut,  la privation de privilèges, la suspension du statut ou des privilèges pour une période déterminée jusqu’à la révocation du statut ou des privilèges. Elles peuvent  consister  à recommander au médecin ou au dentiste de faire un stage, de suivre un cours de perfectionnement, ou les deux à la fois, et, s’il y a lieu, à restreindre ou à suspendre, en tout ou en partie, les privilèges de celui-ci jusqu’à la mise à jour de ses connaissances. »
Cela ne veut pas dire que le conseil d’administration  peut  sanctionner n’importe quelle conduite.  Au contraire,  ce même article de  la  LSSSS prévoit  que  toute mesure  disciplinaire prise à l’endroit d’un médecin  ou d’un dentiste  doit être motivée et fondée uniquement sur le défaut de qualification, l’incompétence scientifique, la négligence,  l’inconduite, l’inobservation des règlements de l’établissement,  eu égard  aux exigences  propres à l’établissement,  ou au non-respect des  termes  apparaissant à la résolution visée à l’article 242.
Enfin, l’article 109  du Règlement  prévoit qu’avant  de  décider de l’application d’une mesure  disciplinaire, le conseil d’administration doit aviser les personnes intéressées et leur permettre  de se faire entendre. Il est évident qu’à ce stade, il est plus  difficile (sans  être  impossible)  de convaincre le conseil d’administration qu’il doit écarter les recommandations du comité exécutif du CMDP.
L’APPEL AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC
Lorsqu’un  médecin   n’est  pas  satisfait d’une décision lui imposant  des mesures disciplinaires, il peut contester  cette décision devant  le Tribunal administratif  du Québec  (TAQ) dans  les 60 jours qui suivent la date à laquelle la décision lui a été notifiée. L’article 252 de la LSSSS prévoit ce recours  devant le TAQ qui exerce une compétence exclusive en cette  matière, car il dispose du pouvoir de décider toute question  de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.
Le TAQ peut « confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s’il y a lieu, rendre  la décision  qui, à son avis, aurait dû être prise en premier». Le TAQ n’est pas  lié par  la preuve  considérée  par  le comité de discipline, car le législateur lui a confié le pouvoir d’appréciation de la question  en litige. Les parties  ont l’occasion de soumettre  au TAQ toute la preuve qu’elles jugent pertinente.  Le TAQ peut refuser la présentation  d’une preuve lorsqu’il la juge non pertinente.  Il agit de novo, ce qui  signifie essentiellement que  le TAQ procède  à une nouvelle enquête en considérant  toute preuve administrée  devant lui et  jugée  pertinente,   sans  se  fonder uniquement sur les motifs retenus  par le comité  de  discipline  ou le conseil  d’administration du centre hospitalier.
QUELQUES EXEMPLES JURISPRUDENTIELS
Un psychiatre a été déclaré coupable  d’inconduite  grave après  avoir frappé l’un de ses patients, qui lui avait craché  au visage. Ce médecin  a alors vu son statut et ses privilèges suspendus pour trois mois. En appel, le TAQ a jugé que la décision rendue par le conseil  d’administration  du  centre hospitalier en question était bien fondée4.
En 2008,  un autre médecin  spécialiste  a contesté avec succès une décision de son centre  hospitalier ayant pour effet de lui imposer une mesure disciplinaire, soit une suspension de ses privilèges pour 30 jours au motif d’une inconduite.  De plus, dans cette affaire, le TAQ a déclaré  irrecevable l’une des plaintes au motif que le médecin examinateur avait disposé de cette plainte de façon non disciplinaire. Cette décision confirme qu’un comité de discipline ne peut pas revenir sur une plainte qui a été réglée par le médecin  examinateur.
CONSEILS PRATIQUES
Comme nous l’avons mentionné précédemment, les règles d’équité procédurale  s’appliquent  au  processus disciplinaire. Il est de coutume  qu’un médecin soit assisté  par un avocat lors de son témoignage devant le comité de discipline. Si vous avez connaissance d’une plainte disciplinaire à votre endroit, il est important de communiquer immédiatement avec votre avocat.  Cela lui permettra  de s’assurer  que  tout témoignage  devant  le comité de discipline sera enregistré et transmis à vous ou à lui.
Le rôle de votre avocat est notamment de s’assurer  que  le  processus suivi par  le comité  de  discipline  est  équitable  et respecte  la LSSSS et ses règlements.  Il vous aidera à préparer  votre dossier et, surtout, votre témoignage. Cependant, je suis d’avis que votre avocat devrait intervenir le moins possible lors de l’audition devant le comité de discipline, car c’est le médecin qui est le mieux placé pour expliquer ses faits et gestes à ses pairs, d’où la nécessité d’une bonne  préparation  avec  votre avocat.  Je vous conseille aussi d’informer votre avocat dès que vous réalisez que l’un des membres du comité de discipline est inhabile à agir en raison d’un conflit d’intérêts. Tout retard peut être interprété  comme  votre acquiescement à sa présence.
Il faut aussi retenir que les tribunaux estiment  qu’il est  sans  importance,  dans  le processus disciplinaire,  qu’un  usager ait porté plainte ou non contre le médecin pour les gestes  reprochés. En défense  à une plainte disciplinaire, il est donc devenu inutile de soulever cet argument, car la plainte logée par vos confrères ou le personnel  du centre hospitalier est aussi valable.
Source: http://www.santeinc.com/file/sept10-05.pdf