CE QU’IL FAUT SAVOIR
Dans un recours civil intenté contre un médecin, il est clair qu’il faut presque toujours retenir les services d’un médecin expert pour analyser la responsabilité du médecin poursuivi, afin de défendre ses actes ou omissions devant le tribunal. Selon la théorie de la cause, il y a fréquemment des questions techniques et scientifiques qui requièrent une opinion devant être soutenue par un expert. L’exercice consiste à comparer la conduite du défendeur avec celle d’un « médecin diligent et raisonnable placé dans les mêmes circonstances ».
Il faut d’abord savoir qu’il est nécessaire de retenir un médecin ayant les mêmes qualifications que le médecin poursuivi; idéalement, quelqu’un qui œuvre dans un milieu similaire. Cette évaluation des soins médicaux prodigués est un exercice parfois difficile, car, rétrospectivement, il est clair que l’expert possède bien souvent des informations et des données dont ne disposait pas le médecin défendeur au moment de sa faute présumée. Il faut toutefois faire abstraction de ces informations, car il serait injuste d’en tenir compte pour évaluer le comportement du médecin. Un expert compétent tâchera donc de se mettre à la place du médecin qui n’a généralement pas l’occasion de connaître tout l’historique médical d’un patient.
Il est clair qu’après coup, on peut décortiquer un dossier médical et l’analyser pendant des heures afin d’y trouver des failles. On doit donc regarder de près toutes les circonstances et le contexte particulier de l’affaire, car le médecin ayant traité le patient en question n’a pas eu à sa disposition le même temps que vous pour réfléchir aux soins du patient. Mais attention, je ne suis pas en train de dire qu’à cause d’une contrainte de temps, tout geste posé par un médecin devient acceptable. Il faut simplement se mettre à la place du médecin et considérer les circonstances particulières de l’affaire.
LA COMMUNICATION ET LA PRODUCTION D’UN RAPPORT
Pour qu’un médecin qui sera qualifié d’expert puisse témoigner à l’audience, l’avocat ayant retenu ses services devra d’abord communiquer son rapport d’expertise à la partie adverse et le produire au dossier de la Cour. Sinon, son témoignage ne sera pas admis. Depuis quelque temps, afin d’améliorer l’efficacité du système judiciaire, les tribunaux dénoncent la longueur des rapports d’experts et préconisent de plus en plus des rapports courts et concis. Ainsi, soyez bref et allez droit au but!
LA NOMINATION D’UN EXPERT UNIQUE
Depuis quelques années, la Cour supérieure du Québec encourage les avocats des parties à nommer un expert unique en matière de responsabilité civile, lequel agira pour toutes les parties. L’objectif est d’augmenter l’efficacité du système judiciaire, d’équilibrer le rapport de force entre les parties et de contrecarrer une pratique dénoncée par les tribunaux selon laquelle l’expert retenu se sent obligé d’aller dans le sens de son client. Pour le moment, bien des avocats se demandent comment mettre en œuvre ce projet.
LA QUALIFICATION DE L’EXPERT
Le tribunal doit d’abord vous reconnaître en tant que témoin expert; c’est ce que l’on appelle la qualification de l’expert. Au début de votre témoignage, attendez-vous donc à devoir répondre à des questions sur votre formation, votre expérience professionnelle et vos recherches et publications.
a) La compétence de l’expert
L’avocat qui a retenu vos services doit établir votre compétence afin que le juge puisse vous reconnaître en tant qu’expert. L’avocat de la partie adverse peut ensuite vous contre-interroger sur vos qualifications. D’après mon expérience, j’estime que cet exercice n’est pas utile à moins qu’il soit flagrant qu’il y a une absence de compétence de l’expert retenu, ou qu’il y a une lacune spécifique dans sa formation. Dans le cas contraire, il sera plutôt inhabile de la part d’un avocat de tenter de mettre en doute les compétences d’un expert professionnel. Il n’en reste pas moins que certaines questions de l’avocat adverse peuvent être utiles pour découvrir s’il existe ou non un lien entre vous et le médecin poursuivi ou si vous n’avez pas d’expérience pratique.
Par contre, si vous êtes un médecin à la retraite depuis plusieurs années, le tribunal pourrait refuser de vous qualifier en tant qu’expert. Aussi, avant d’accepter le mandat, assurez-vous d’avoir une expérience professionnelle pertinente par rapport aux faits en cause. Par exemple, si vous êtes un chirurgien qui n’a pas d’expérience dans la technique chirurgicale utilisée par le médecin défendeur, il vous sera difficile de la commenter. La partie adverse ne tardera pas à faire valoir au tribunal votre manque d’expérience, afin que vous ne soyez pas qualifié en tant qu’expert ou pour restreindre le champ d’expertise dans le cadre duquel vous pourriez témoigner. Si vous n’êtes pas qualifié en tant qu’expert, il est évident que la partie adverse exigera que votre rapport soit retiré du dossier de la cour pour éviter qu’il puisse être utilisé comme preuve. Aussi, assurez-vous que le mandat proposé se situe à l’intérieur de votre champ de compétence, ne serait-ce que parce que les jugements rendus par un tribunal sont publics. Pourquoi s’exposer à des critiques publiques inutiles qui mettraient en doute vos compétences?
b) L’absence de conflit d’intérêts
Le témoin expert a une mission spécifique, celle de « renseigner le tribunal et, par ri- cochet
Le témoin-expert a une mission spécifique, celle de «renseigner le tribunal et, par ricochet, les parties sur les éléments d’ordre scientifique qui ne sont pas de connaissance judiciaire». Lorsqu’un expert témoigne, il doit être objectif dans un contexte où les liens personnels sont absents. Ici, on recherche donc l’indépendance et l’impartialité. C’est ainsi que «le témoin-expert ne doit pas se mettre dans une position de conflit réel ou apparent qui fasse en sorte que le tribunal puisse douter de son détachement». Dans le cas contraire, sa crédibilité serait minée et son opinion perdrait de la valeur. Les tribunaux ont décidé à maintes reprises qu’il est fortement contre-indiqué qu’un médecin traitant agisse lui-même en tant qu’expert sur la situation de son patient. Par contre, cela n’empêcherait pas que le médecin traitant devienne un témoin factuel dans la même cause.
Le déroulement de l’interrogatoire du témoin-expert
L’interrogatoire en chef, c’est-à-dire celui mené par l’avocat qui a retenu vos services, doit faire ressortir ce que le témoin-expert a analysé à l’égard du dossier et des faits qui sont à la base de son opinion. Il faut d’abord énumérer les documents et renseignements dont vous disposez pour rédiger votre rapport. Lors de cet interrogatoire, l’avocat ne pourra vous poser des questions suggestives et votre témoignage ne devra pas être trop technique. Il ne faut pas oublier que ni le juge ni les avocats n’ont de connaissances médicales et vous devrez donc vulgariser l’information en utilisant un langage simple et compréhensible lors de votre témoignage.
Il ne faut pas tenter de plaider la cause…
Il est important de réaliser que, en tant qu’expert, vous êtes appelé à éclairer le tribunal quant aux questions scientifiques soulevées. L’expert ne peut et ne doit pas être considéré comme un professionnel qui vient plaider le dossier à la place de l’avocat. Ce n’est donc ni le lieu ni la place pour faire un discours. Ça peut sembler évident, mais certains experts tombent dans ce piège. Le rôle de l’avocat est de trouver l’expert le plus qualifié et il est important que cet expert soit crédible. Plus vous épouserez la cause du défendeur, et plus il y aura des chances qu’on mette en doute votre crédibilité, ce qui n’aiderait pas le médecin défendeur. En revanche, rappelez-vous que les juges ont l’habitude d’entendre des témoins et que la plupart ont développé un sixième sens pour repérer un véritable expert ou quelqu’un qui agit comme ce qu’on appelle un «hired gun». Par ailleurs, l’avocat du défendeur s’empressera de vous rappeler qu’il se chargera de l’argumentation lors de sa plaidoirie. Généralement, l’avocat reviendra sur les éléments clés de votre témoignage lors de sa plaidoirie qui aura lieu à la toute fin du procès. Chacun son métier et comme l’une de mes anciennes collègues disaient si bien: la salle d’audience c’est ma salle d’op! Ceci étant dit, un bon avocat tentera de «s’effacer» lors de votre témoignage car le juge veut et doit entendre le témoin-expert pour l’éclairer dans sa prise de décision.
Lors de votre contre-interrogatoire par l’avocat de la partie adverse, ce dernier tentera parfois de nuire à votre crédibilité. Ici, les questions suggestives et les questions hypothétiques sont permises. Bien des médecins refusent d’agir comme témoin-expert à la Cour car ils estiment que cet exercice est pénible. Il est clair que l’avocat de la partie adverse, avec l’aide de son propre expert, aura identifié les points faibles de votre rapport pour préparer son «plan d’attaque». Prenez pour acquis qu’un bon avocat maîtrisera les faits du dossier et aura lu tout ce que vous avez écrit ou publié sur le sujet, et qu’il connaîtra également la littérature médicale qui pourrait lui permettre de vous contredire.
Je vous invite donc à être très attentif aux erreurs factuelles contenues dans votre rapport et aux références citées. De plus, attendez-vous à ce qu’on vous confronte avec vos propres écrits antérieurs. D’ailleurs, si vous épousez une école de pensée plutôt qu’une autre, assurez-vous de ne pas avoir affirmé le contraire, soit dans un rapport antérieur où dans un article publié. Le cauchemar de tout médecin est de se faire critiquer par un juge dans un jugement qui sera ensuite accessible au grand public par le biais d’Internet…
Conseils pratiques
Les juges accordent généralement suffisamment de latitude à l’expert pour qu’il témoigne à sa guise, mais bien des experts sont difficiles à suivre. Il sera donc préférable d’éviter de longues tirades trop techniques. Vous risqueriez de perdre le juge car il ne pourra pas intégrer tous les détails complexes et techniques. Le défi : tenez-vous en à l’essentiel et vulgarisez les concepts.
Source: http://www.santeinc.com/file/janv11-08.pdf
En matière de responsabilité médicale, le témoignage de l’expert est nécessaire pour aider le juge des faits « à faire des inférences dans des domaines où l’expert possède des connaissances ou une expérience pertinente qui dépassent celles du profane ».
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