Aucun professionnel de la santé ne souhaite subir une enquête de la Régie de l’assurance maladie (ci-après « la Régie »). Comment réagir advenant une telle éventualité, et surtout comment s’assurer que son mode de facturation est conforme aux règles de la Régie?
Cet article traitera du processus d’enquête de la Régie de l’assurance maladie du Québec portant sur la facturation d’un professionnel de la santé et vous fournira aussi quelques conseils pratiques en matière de facturation.
Sachez d’abord que la Régie est investie de pouvoirs d’enquête étendus et que toute enquête peut entraîner des répercussions financières pour le professionnel de la santé visé, sans parler du stress que lui causera sans aucun doute l’examen de sa facturation, au cours d’un processus qui risque d’être long et pénible. Par ailleurs, n’oubliez pas que le contrôle de la rémunération versée aux médecins fait partie inhérente des tâches de la Régie. Dans l’exercice de leurs fonctions, les membres et fonctionnaires de la Régie sont investis de l’immunité législative et la Régie peut ainsi enquêter sur « toute matière de sa compétence ». Attention, car l’article 21 de la Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec prévoit également une interdiction formelle d’entraver le travail d’un inspecteur ou enquêteur de la Régie dans l’exercice de ses fonctions. Il faut aussi se rappeler que la Régie ajoute à toute réclamation un montant représentant 10 % de la somme réclamée représentant des frais de recouvrement, en conformité avec l’article 22.4 de la Loi sur l’assurance maladie.
QU’EST-CE QUI DÉCLENCHE UNE ENQUÊTE?
La majorité des médecins que j’ai rencontrés au cours de ma carrière faisaient affaire avec des agents de facturation, et ce, pour plusieurs raisons, notamment le manque de temps, les horaires chargés et la complexité des codes de tarification des manuels de facturation. En revanche, il ne faut pas perdre de vue qu’en tant que professionnel de la santé, vous êtes responsable de votre facturation auprès de la Régie.
La Régie, comme vous le savez peut-être, dispose de ressources importantes lui permettant de comparer votre profil de pratique à ceux de vos collègues ayant le même champ de pratique que vous ou exerçant les mêmes activités dans des con- ditions ou des régions socio-sanitaires semblables. Généralement, c’est lorsque la Régie constate un écart appréciable entre votre facturation de certains actes et celle de vos confrères qu’elle déclenche une enquête. Cela constitue en principe le point de départ d’une analyse approfondie de votre facturation, qui comprend aussi une visite d’inspection. De plus, un nombre important d’enquêtes sont déclenchées à la suite de dénonciations par les pairs.
Prenons l’exemple d’un médecin qui facturerait à la Régie des examens complets plus fréquemment que ses collègues et ceci, de façon appréciable, ce qui attire l’attention de la Régie. À la lecture des dossiers médicaux, on constate que la revue des systèmes est généralement absente et que les notes du médecin n’aident pas la Régie à comprendre le genre d’examen qu’il a effectué, car elles sont brèves et peu explicites. Dans ce cas, la Régie en arrivera probablement à la conclusion que le praticien de la santé procède à des examens complets de façon routinière et non en fonction des symptômes du patient. Par conséquent, la Régie jugera que les examens complets n’étaient pas médicalement requis et réclamera la différence entre les montants reçus et ceux auxquels vous avez droit pour des examens ordinaires. Cet exemple illustre bien à quel point il est important de s’assurer que vos examens soient bien documentés en rédigeant des notes détaillées. Il est clair que des dossiers mal tenus augmentent le risque de réclamations.
UNE APPROCHE DIFFÉRENTE
L’approche de la Régie est différente dans chaque cas, et on doit distinguer entre une mésentente quant à l’interprétation des services fournis conformément ou non à l’entente intervenue entre la Régie et l’une ou l’autre des fédérations, les services non fournis et les services assurés qui n’étaient pas requis sur le plan médical.
a) les services fournis de façon non conforme à l’entente
Dans le cas des services fournis non conformément à l’entente, il s’agit essentiellement d’une question d’ordre juridique, à savoir l’interprétation du texte de l’entente. Par conséquent, tout différend relève de la juridiction exclusive d’un conseil d’arbitrage selon les articles 22.2 et 54 de la Loi sur l’assurance maladie. En règle générale, c’est un avocat qui préside le conseil d’arbitrage.
b) les services non fournis
En revanche, si, suite à une enquête, la Régie en arrive à la conclusion que les services facturés n’ont pas été fournis, n’ont pas été fournis personnellement par le professionnel ou qu’ils ont été faussement décrits, c’est plutôt le 2e alinéa de l’article 22.2 de la Loi sur l’assurance maladie qui s’applique. Dans ce cas, la Régie doit aviser le médecin de sa décision, laquelle lui permet alors de refuser de rembourser les services visés par l’enquête, ou d’en demander le remboursement par compensation.
Le médecin peut ensuite contester la décision de la Régie devant la Cour du Québec ou la Cour supérieure, selon leurs compétences respectives, dans un délai de 6 mois suivant la décision. De plus, si la Régie est d’avis qu’il y a eu fraude, elle peut intenter des procédures pénales et/ou en aviser le Collège des médecins du Québec.
c) les services non requis au point de vue médical
La situation est différente dans le cas de services non médicalement requis selon la Régie, et qui auraient été fournis plus fréquemment que nécessaire ou encore dispensés abusivement.
Le dossier du professionnel est alors transmis au comité de révision pour étude et recommandation. Ce comité est composé majoritairement de médecins puisqu’il s’agit d’une appréciation médicale. La question qui se pose est la suivante : les services facturés plus fréquemment étaient-ils requis sur le plan médical? Ce comité, avant de faire des recommandations, doit permettre au médecin concerné de présenter ses observations. Cela se fait lors d’une audience et le médecin peut être représenté par un avocat s’il le désire. Le comité peut être d’accord avec le médecin ou recommander que la Régie exige un remboursement. La Régie doit rendre une décision dans les 30 jours suivant la recommandation du comité de révision et procéder à la compensation, sauf si la décision de la Régie n’est pas conforme à la recommandation du comité de révision. Précisons ici que ce n’est pas parce qu’il existe un écart de facturation que le médecin est automatiquement fautif. Il est possible que cet écart provienne du fait qu’il pratique dans des circonstances particulières. Il va sans dire que des dossiers médicaux bien étoffés vous aideront à démontrer que les services rendus étaient requis sur le plan médical.
Un médecin qui se croit lésé par une décision défavorable peut, dans les 60 jours de la notification de la décision, la contester devant le Tribunal administratif du Québec. Toutefois, sachez que le 2e paragraphe de l’article 50 de la Loi sur l’assurance maladie prévoit un renversement de fardeau de preuve, c’est-à-dire qu’il incombe au médecin de prouver que la décision de la Régie est mal fondée, sauf si elle n’est pas conforme à la recommandation du comité de révision, auquel cas le fardeau de la preuve incombe à la Régie. À ce sujet, la Cour d’appel du Québec écrit dans l’affaire Régie de l’as- surance maladie du Québec c. Patrick Olivier et al, J.E. 2004-203 (C.A.):
[10] Étant donné que la Régie avait accepté la somme déterminée par le Comité comme représentant les services non requis et étant donné d’autre part que l’intimé contestait devoir cette somme à la Régie, la charge de la preuve incombait à l’intimé;
[12]En réalité l’intimé, devant la CAS, était dans la position d’un fournisseur de services dont le client refuse de payer la facture: il devait convaincre le tribunal du bien-fondé de sa créance;
COMMENT CHIFFRER LES MONTANTS DUS À LA RÉGIE
Ce n’est pas dans tous les cas que la Régie parvient à chiffrer correctement les montants qui lui sont dus. Je comprends le réflexe de certains de renvoyer la balle à la Régie en disant : «Prouvez-moi que j’ai erré dans ma facturation et que je dois rembourser le montant réclamé!» Mais la réalité est tout autre et le renversement du fardeau de preuve oblige le professionnel de la santé à démontrer que c’est la décision de la Régie qui est mal fondée.
J’ai déjà représenté un groupe de médecins spécialistes en radiologie visés par des réclamations de la Régie, à la suite d’une surfacturation causée par un logiciel défectueux. Le centre hospitalier où ils pratiquaient leur avait imposé l’usage de ce logiciel, mais refusait d’accepter une quelconque responsabilité pour la défectuosité de celui-ci, ce qui a engendré un autre débat non pertinent au présent article. C’est l’un des médecins qui s’est aperçu d’une erreur dans le fonctionnement du logiciel constatant la facturation d’un nombre anormal d’examens radiologiques de même nature.
Dans ce cas, comment s’y prendre pour déterminer les montants surfacturés par chaque médecin? À partir du moment où la Régie demande aux médecins de rembourser une partie de leur rémunération, ces derniers n’étaient-ils pas en droit d’exiger des calculs précis?
LE RECOURS À L’EXPERT
Dans le cas d’une réclamation formelle, le recours à l’expert devient souvent obligatoire. Selon la nature des faits reprochés, il se peut que l’expert soit mandaté pour démontrer que les services facturés plus fréquemment étaient médicalement requis. Vous pouvez retenir les services d’un médecin pratiquant dans la même spécialité que vous pour agir à titre d’expert car la question est d’ordre médical.
La situation se complique lorsque la Régie note un écart statistique dans la facturation d’un professionnel par rapport à certains de ses confrères. Dans ce cas, le mandat de l’expert se complexifie. Il existe peu d’ex- perts au Québec, généralement des mathématiciens avec une spécialité en statistique, à qui on peut faire appel dans ce genre de situation. Il doit d’abord analyser les données sur lesquelles la Régie a basé sa réclamation afin d’y déceler les failles possibles. Rien n’étant précis en matière de statistique, il est possible que les calculs de la Régie soient basés sur des données incomplètes. Le rôle de votre expert sera de proposer l’utilisation de données différentes pour faire une meilleure analyse statistique comparative.
PARFOIS, UNE ENQUÊTE PEUT ALLER TROP LOIN…
Il est bon de rappeler que les pouvoirs de la Régie excluent, évidemment, toute enquête qui serait menée de mauvaise foi. Nous espérons que des leçons ont été tirées de la décision rendue par la Cour supérieure en novembre 2005. Dans cette affaire, des accusations criminelles pour fraude avaient été portées par la Régie à la suite d’une enquête sur la facturation de trois médecins spécialistes en médecine nucléaire, qui pratiquaient à l’hôpital de Chicoutimi pendant la période visée par l’enquête, soit entre 1992 et 1995. Les médecins ont tous été acquittés, et ils ont contre-attaqué en poursuivant au civil la Régie, son enquêteur et le procureur général du Québec, estimant que l’enquêteur avait largement outrepassé ses pouvoirs. Dans sa décision de 60 pages, l’Honorable Suzanne Hardy-Lemieux, juge à la cour supérieure, analyse et commente les méthodes d’enquête de la Régie et conclut que cette enquête était aberrante au point de montrer l’insouciance, l’incurie grave et même la mauvaise foi de l’enquêteur. De plus, le tribunal a conclu qu’aucune preuve n’établissait le caractère raisonnable ni la nécessité des recours criminels contre les médecins. Pour ces motifs, les médecins se sont vu rembourser les sommes payées indûment à la Régie au titre d’une reconnaissance de dettes exigée par celle-ci et verser, pour chacun, des dommages moraux variant entre 140 000 $ et 170 000 $ en plus de dommages punitifs de 25 000 $ et le remboursement des frais et honoraires extrajudicaires. La Régie a dû assumer 90 % des dommages et le procureur général, 10 %.
LES FAITS PARTICULIERS DE CETTE AFFAIRE
Cette décision a permis d’illustrer, notamment, à quel point une enquête de facturation peut affecter la vie professionnelle et personnelle d’un médecin.
Faisons un retour rapide sur les faits. La facturation des médecins spécialistes en médecine nucléaire se faisait en groupe. À une certaine époque, un médecin a été engagé pour se joindre au service de médecine nucléaire de l’hôpital, lequel effectuait les examens de médecine nucléaire de tous les hôpitaux de la région. L’enquête a été déclenchée à la suite d’une plainte déposée à la Régie par un médecin auparavant salarié, qui s’était ensuite dissocié du groupe et estimait qu’il avait le droit de recevoir la différence entre les honoraires perçus par le groupe et ceux facturés à son nom à la Régie.
L’enquêteur de la Régie a vite conclu que les trois médecins voulaient clairement ex- ploiter le médecin salarié pour contourner le plafonnement de la Régie, allant jusqu’à les traiter de fraudeurs et de criminels. Pourtant, les médecins visés par l’enquête avaient tenté de convaincre la Régie que leurs méthodes de facturation étaient conformes, car en médecine nucléaire, il arrivait fréquemment qu’un patient devait passer un examen en plusieurs étapes, faisant en sorte que ce dernier était vu par différents médecins du groupe. Cependant, la Régie ne remettait pas en question le fait que les actes médicaux facturés au nom du médecin salarié avaient été bel et bien posés, mais elle soutenait qu’ils n’avaient pas tous été rendus par celui-ci.
Le tribunal n’a pas hésité à accorder aux médecins des dommages moraux et punitifs. Les fausses accusations criminelles qui avaient été médiatisées ont, selon le tribunal, causé un préjudice sérieux aux médecins. Les médecins visés par l’enquête jouissaient tous trois d’une excellente réputation avant les événements, ce qui était admis par la Régie et le procureur général du Québec. Au chapitre des dommages, le tribunal a accepté que les médecins ont souffert sur le plan psychologique non seulement durant l’enquête mais également en raison des accusations criminelles en acceptant l’incapacité psychologique telle qu’établie par l’expert psychiatre des médecins tout en estimant que l’expert psychiatre de la Régie tentait de minimiser indûment les conséquences des fausses accusations sur la vie professionnelle et privée des médecins.
Mais malgré ce gain de cause important, les séquelles y demeurent, l’un des médecins a décidé de prendre une retraite prématurée et les deux autres, qui avaient entre autres perdu le sommeil et l’appétit durant l’enquête, avaient même songé à mettre fin à leurs jours à un certain moment durant l’enquête.
Cependant, selon Me Estelle Tremblay, qui représentait les médecins spécialistes dans le cadre de cette poursuite civile, cette décision a eu un impact majeur sur les méthodes d’enquête de la Régie. Elle mentionne que depuis ce jugement, la Régie a abandonné l’idée de poursuivre des médecins au criminel, privilégiant plutôt la voie du recours civil pour régler les cas problématiques en matière de facturation.
LA PRESCRIPTION
Y a-t-il une date au-delà de laquelle la Régie ne peut revenir en arrière ? L’article 22.2 de la Loi sur l’assurance maladie prévoit que pour des services non fournis ou fournis non conformément à l’entente, toute créance de la Régie est prescrite après trois ans et qu’elle ne dispose d’aucun autre recours pour récupérer ces sommes.
CONCLUSION
En matière de facturation, le principe est qu’un médecin a le droit d’être payé pour les actes médicalement requis. Toutefois, comme nous l’avons démontré, il est essentiel de bien documenter les dossiers médicaux de vos patients pour vous prémunir d’une éventuelle enquête de votre facturation.
De plus, ce n’est pas parce que vous recevez paiement de la Régie que celle-ci est nécessairement d’accord avec votre facturation. Compte tenu du fait que la Régie peut rétroagir pendant une période de 36 mois, vous ne devriez pas tenir pour acquis que votre facturation est conforme et acceptable par la Régie parce que celle- ci vous paie depuis un certain temps. Sachez cependant qu’il est possible de vous adresser à la Régie pour obtenir le profil de votre facturation. Vous pouvez même en faire la demande chaque année. En consultant le nombre et le genre d’examens pour lesquels vous avez facturé, il se peut que vous y détectiez des anomalies. En tout état de cause, n’hésitez pas à consulter votre conseiller juridique pour répondre à vos questions.
Source: http://www.santeinc.com/file/juil10-06.pdf
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