Ce mois-ci, nous allons examiner la question de  l’obligation de  diligence  du médecin envers un enfant à naître, en analysant  les retombées d’un arrêt rendu par la Cour d’appel d’Ontario.
Dans  l’arrêt Paxton  c.  Ramji1,  la Cour d’appel de l’Ontario a infirmé un  jugement  rendu  par  la Cour supérieure de justice  en  concluant que  Dr Ramji,  à titre de médecin  traitant, n’avait pas une obligation de  diligence envers  l’enfant futur  de  sa  patiente.  En 2009,  la demande  d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada  a été rejetée.
Dr  Ramji  avait  prescrit  de  l’Accutane pour traiter la condition d’acné de sa patiente. Malgré le fait que son mari ait subi une  vasectomie  quatre  ans  et demi auparavant,  Mme Paxton est devenue  enceinte  alors qu’elle prenait  l’Accutane. Son enfant, Jaime Paxton, est né avec de sérieuses déficiences  congénitales,  dont des  handicaps physiques  graves et des dommages au cerveau,  en raison de son exposition in utero à l’Accutane.
La Cour d’appel a souligné que [traduction] « ajouter une obligation de diligence à un médecin  envers l’enfant futur de sa patiente  aux obligations existantes du médecin  envers  sa patiente  créerait un  conflit d’obligations qui pourrait inciter les médecins à traiter certaines femmes  d’une manière  qui pourrait les priver de leur autonomie  et de leur droit à un  choix éclairé  en matière  de soins de santé». La Cour d’appel a donc conclu qu’en  vertu du droit ontarien,  le Dr Ramji n’avait aucune obligation envers l’enfant futur de sa patiente.
LA DÉCISION  DE LA COUR SUPÉRIEURE
La juge de première  instance  a reconnu que  l’Accutane était indiqué  pour  traiter l’acné de Mme Paxton. Selon le tribunal, le médecin  avait une obligation de diligence envers l’enfant à naître de sa patiente,  ce qui l’obligeait à s’assurer qu’il ne prescrivait pas de médicament tératogène  à une femme  susceptible de  devenir  enceinte. Malgré cela, le tribunal a conclu que le Dr Ramji s’était effectivement acquitté de son obligation de diligence, étant donné  qu’il avait pris en  considération  le fait que  le mari de sa patiente  avait subi une vasectomie quelques années auparavant.
LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
La Cour d’appel arriva au même  résultat que le tribunal de première instance,  tout en étant  en  désaccord avec  le  raisonnement  du tribunal inférieur. Ainsi, il affirmait plutôt que  les médecins n’ont pas une obligation de diligence envers les enfants futurs de leurs patientes.
Avant de  rendre  son  jugement,  la Cour d’appel examina  différentes  causes dans lesquelles on alléguait un droit des enfants contre des  personnes dont la négligence leur avait causé  un préjudice pendant qu’ils étaient encore en gestation. Les actions fondées  sur  une  vie préjudiciable (wrongful life claims)  exigeaient des  tribunaux   de   comparer   [traduction]   «la valeur de l’existence du demandeur dans un état d’infirmité et la valeur de sa non- existence»  avec le risque  d’en venir à la conclusion  troublante  qu’il aurait  mieux valu que  l’enfant ne  soit jamais  né.  La Cour d’appel expliqua qu’en raison de la difficulté de cette analyse, ces actions ont généralement été rejetées au Canada.
La Cour remarqua que  ce  ne  sont  pas toutes les demandes provenant d’enfants nés à la suite d’une  faute du médecin  qui sont catégorisées comme des actions fondées  sur une  vie préjudiciable.  Dans certains cas, l’enfant ne tente pas de faire reconnaître  que  sans  la conduite  négligente du médecin  il ou elle ne serait pas né(e) mais plutôt que, sans cette conduite négligente, il ou elle serait né(e) en bonne santé.  Dans cette  dernière  catégorie  impliquant   des   enfants   handicapés  nés après  le geste  fautif du médecin,  les tribunaux ont accordé  des compensations à des  enfants  qui  poursuivaient  les médecins leur ayant causé  un préjudice.
En l’espèce,  la Cour d’appel considéra que la réclamation pourrait tomber dans cette deuxième  catégorie.  Si l’obligation du médecin  était de ne pas prescrire de l’Accutane à une femme susceptible de tomber  enceinte,  et si le médecin  avait rempli cette obligation, Jamie Paxton serait  né en bonne  santé.  Toutefois, si l’obligation du  médecin était  de  s’assurer que les patientes auxquelles il prescrivait le médicament tératogène avaient recours  à une méthode  anticonceptionnelle appropriée,  la demande en resterait une fondée sur une vie préjudiciable,  étant  donné  que  Jaime  Paxton n’aurait jamais été conçu  si le médecin avait rempli son obligation.
Selon la Cour d’appel, la véritable question à examiner était d’abord de déterminer s’il existe une obligation de diligence du médecin envers  un  enfant  futur.  À cet égard, la Cour mentionna qu’il n’y avait pas de courant jurisprudentiel clair au Canada sur la question  de savoir si le médecin  a une obligation de diligence à l’égard d’enfants non encore  conçus  ou nés  au moment de la conduite fautive du médecin.
La Cour d’appel effectua  une  analyse de l’obligation de  diligence  du  médecin  en utilisant les critères établis dans l’arrêt Anns. À la première étape, la Cour reconnut rapidement qu’il est raisonnablement prévisible que  prescrire  un  médicament tératogène  à une femme qui peut devenir enceinte est susceptible de causer  un préjudice  à un éventuel futur enfant. À la seconde étape de l’analyse, la Cour estima que  des  considérations de  principe  allaient à l’encontre d’une conclusion à l’effet que les médecins et les enfants potentiels de leurs patientes  étaient  dans  une «relation étroite et directe» telle, qu’il serait juste et équitable  d’imposer au médecin une obligation de diligence.
La Cour déclara  à l’unanimité que  conclure  à l’existence d’une  obligation de diligence distincte du médecin envers l’enfant futur de sa patiente  aurait pour conséquence de lui imposer des obligations incompatibles.  En particulier, la patiente  du médecin  peut  avoir des  intérêts différents de ceux de son éventuel enfant à naître. En lui imposant  des obligations à l’égard de l’enfant à naître, le médecin  aurait  à choisir entre  l’intérêt de la mère  et celui de l’enfant à naître. De plus,  selon la Cour, les femmes  enceintes  n’ont pas d’obligation légale envers leur futur enfant.  La Cour craignait que si l’on concluait à l’existence d’une obligation des  médecins envers  les enfants non encore  nés,  il serait possible qu’ils soient  incités  à traiter leurs  patientes d’une manière  qui pourrait priver celles-ci  de  leur autonomie  et de  leur liberté  de  choix  à  l’égard  des  traitements  médicaux  à recevoir.
COMMENTAIRES
La question de l’obligation de diligence envers un enfant  à naître est complexe,  et cette affaire donne  à réfléchir sur ce que signifierait l’imposition au médecin  d’une obligation de diligence qui pourrait exister envers un enfant futur, qu’il soit conçu ou non, au moment du traitement médical de sa mère.  La Cour d’appel a reconnu  les implications sociales  négatives de sa décision, en ce que les enfants ayant subi un préjudice in utero à la suite de la conduite négligente d’un médecin  ne seraient  pas dédommagés pour ce préjudice. Par contre,  selon  le tribunal,  l’impact qu’aurait une reconnaissance judiciaire de l’obligation de diligence envers  l’enfant à naître l’emporte sur cette considération.
La décision  de ne pas  conclure  à l’existence  d’une obligation de diligence d’un médecin  envers un enfant non encore né au moment du traitement médical est bien motivée et raisonnable,  étant donné  que, dans  un tel contexte,  la relation entre  le médecin  et l’enfant à naître est indirecte, tandis que la relation entre le médecin  et sa patiente est directe. Il est donc logique que  l’obligation de diligence du médecin existe d’abord envers sa patiente.
Cela dit, il est clair qu’un médecin peut refuser  de  prescrire  un  médicament susceptible de causer  un préjudice  au fœtus en cas  de grossesse, s’il n’est pas  convaincu que sa patiente  ne deviendra  pas enceinte  pendant la durée  du traitement. Toutefois, comme énoncé  par la Cour d’appel  de  l’Ontario, il  n’y a rien qu’un médecin  puisse  faire pour s’assurer  que la patiente  aura  recours  à des  méthodes contraceptives  efficaces pendant la prise du médicament, autre  que  de l’informer des  conséquences possibles  si elle ne le fait pas.  Les médecins ont des devoirs et obligations envers leurs patientes  et conclure qu’un médecin  a une obligation envers un enfant  à naître peut  restreindre, de façon significative, le choix d’une femme  quant  aux traitements  médicaux qu’elle désire  recevoir. Cette décision  de la  Cour  d’appel  de  l’Ontario a  suscité beaucoup d’intérêt dans les milieux médical et juridique et, selon nos recherches, à ce jour, elle n’a pas été mise en question par les tribunaux québécois. ⌧
Références:  Paxton c. Ramji, 2008 ONCA 697, Anns c. Merton London Borough Council [1978] A.C. 728
Source:http://www.santeinc.com/file/mai10-07.pdf