Modalités du système de garde et pouvoirs du DSP
PAR ME CHRISTINE KARK
Les médecins œuvrant en milieu hospitalier se demandent souvent quelles sont leurs obligations lorsqu’ils effectuent des gardes. Malgré les nombreux conflits qui naissent à cet égard, rares sont ceux qui aboutissent devant les tribunaux, car, évidemment, le recours judiciaire n’est pas toujours la meilleure option pour les résoudre.
En mars 2011, nous avons écrit dans ces pages sur le cas d’un orthopédiste qui avait été blâmé par son établissement pour ne pas avoir pris en charge un patient qui s’était présenté à l’urgence d’un centre hospitalier durant sa garde de 24 heures. Cet orthopédiste avait uniquement été avisé de l’existence d’une demande de consultation pour le patient en question après avoir fini sa garde et il a donc refusé de revenir au centre hospitalier pour le voir. On reprochait à l’orthopédiste d’avoir agi en violation des règles de fonctionnement en vigueur au sein du service d’orthopédie du centre hospitalier, règles qui lui avaient été communiquées par le directeur des affaires médicales et services professionnels (DSP). Remarquons que la règle qu’on estimait que l’orthopédiste avait violée ne se trouvait pas dans les lois et règlements qui s’appliquaient en matière de service de garde en milieu hospitalier.
L’orthopédiste avait d’abord eu gain de cause devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) et la décision du TAQ avait été confirmée par la Cour supérieure du Québec. En avril 2012, à la suite de l’appel logé par le centre hospitalier, la Cour d’appel du Québec a définitivement tranché le débat en faveur de l’orthopédiste, en confirmant que le juge de première instance, en l’occurrence le juge de la Cour supérieure du Québec, n’avait pas erré lorsqu’il a jugé que la décision du TAQ n’était pas déraisonnable.
LES FAITS
Revenons sur les faits de cette affaire qu’on peut qualifier de saga judiciaire. Le tout a commencé en 2007 avec une plainte disciplinaire intra-hospitalière déposée contre l’orthopédiste lui reprochant de ne pas avoir respecté les modalités du système de garde en vigueur au sein du service d’orthopédie du centre hospitalier duquel il faisait partie. Ces modalités prévoyaient spécifiquement qu’un orthopédiste était responsable de prendre en charge tous les patients dont la date de consultation initiale correspondait à sa garde. Dans les faits, cette règle faisait en sorte qu’un orthopédiste devenait responsable de tous les patients qui se présentaient au centre hospitalier durant sa garde, même s’il ignorait l’existence d’une demande de consultation avant la fin de sa garde. Ces modalités avaient été communiquées à l’orthopédiste par le DSP du centre hospitalier sous la forme d’une directive.
La plainte disciplinaire avait donné lieu à une suspension de trois jours imposée à l’orthopédiste par le conseil d’administration de son centre hospitalier pour cause de négligence, d’inconduite et de non-respect des règlements en vigueur.
En 2010, le TAQ infirmait la décision du conseil d’administration du centre hospitalier en rendant une décision en faveur du médecin. Dans la même année, la Cour supérieure du Québec refusait de réviser la décision du TAQ laquelle a ensuite été portée en appel. Qu’en est-il du raisonnement des juges de la Cour d’appel du Québec?
LE DISPOSITIF DU JUGEMENT RENDU PAR LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC
La Cour d’appel du Québec fait d’abord référence au TAQ qui s’était demandé si l’orthopédiste, en vertu des dispositions de la LSSSS, du Règlement de régie interne du département de chirurgie ou des Règlements du CMDP, devait « assumer la responsabilité d’un patient pour lequel il n’avait jamais été appelé à intervenir à l’intérieur de sa période de garde ». Le TAQ avait aussi pris soin d’analyser les dispositions législatives pour connaître et définir les pouvoirs d’un DSP, afin de vérifier si ce dernier était autorisé à modifier unilatéralement les modalités de garde.
Le TAQ avait décidé que les modalités de garde pouvaient uniquement être élaborées en respectant les paramètres de la LSSSS, lesquels se trouvent notamment aux articles 189 et 214 de cette loi. De plus, le TAQ a rejeté l’argument du conseil d’administration du centre hospitalier selon lequel l’orthopédiste avait aussi violé ses obligations déontologiques, notamment les articles 32 à 35 du Code de déontologie des médecins. Or, cet argument fut rapidement écarté, car il était clair pour le TAQ que ces articles s’appliquaient seulement lorsqu’un médecin avait examiné, investigué ou traité un patient, ce qui n’était pas le cas de l’orthopédiste en question.
De son côté, la Cour supérieure du Québec avait refusé d’annuler la décision du TAQ et, en appel, le procureur du centre hospitalier a tenté de convaincre le tribunal que le juge de la Cour supérieure avait commis une erreur révisable en refusant de reconnaître qu’une pratique en vigueur au centre hospitalier qui était « constante et d’application générale » pouvait constituer un standard de conduite à respecter par l’ensemble des orthopédistes. Le procureur voulait ainsi convaincre la Cour d’appel du Québec que, malgré l’absence d’une règle spécifique dans une loi ou un règlement obligeant l’orthopédiste de garde à prendre en charge un patient qui se présentait au centre hospitalier durant sa garde, il fallait conclure à la violation par l’orthopédiste d’une norme non réglementaire qui pouvait d’ailleurs très bien servir de fondement juridique à une mesure disciplinaire.
Pour soutenir sa position, le procureur du centre hospitalier a fait référence, à titre d’exemple, à un médecin qui avait été tenu responsable d’avoir donné un coup de poing à un patient et déclaré coupable d’inconduite au sens de la loi sans qu’un règlement interdise spécifiquement le geste posé par le médecin. En réponse à cette analogie, les juges de la Cour d’appel du Québec ont expliqué que « le service de garde est au cœur de l’activité d’un établissement et non un problème excentrique et inhabituel ». Ils ont ajouté que la loi précise les modalités de garde et par qui et comment elles sont décrétées.
D’ailleurs, nous savons que l’article 189 de la LSSSS prévoit que le chef de département est responsable de dresser la liste de garde, sous l’autorité du DSP, tandis que l’article 214 de cette loi stipule que le CMDP élabore les modalités du système de garde qui sont ensuite approuvées par le conseil d’administration.
La Cour d’appel du Québec a marqué l’histoire en confirmant que le DSP, malgré l’importance qu’il peut avoir au sein de l’administration d’un centre hospitalier, n’est pas l’autorité compétente pour adopter une modalité majeure ayant trait aux systèmes de garde si elle n’a jamais été approuvée par le CMDP.
En conclusion, la Cour d’appel du Québec a estimé que la décision du TAQ ne pouvait être qualifiée de déraisonnable et a noté que le patient n’avait pas souffert du manque d’intervention, car un autre médecin l’a rapidement pris en charge. Il est mentionné que cet autre orthopédiste a agi en professionnel responsable. On imagine qu’il doit s’agir de celui qui était de garde ce jour-là…
NOS COMMENTAIRES
Cette décision est intéressante sur le plan juridique, mais elle ne règle pas tous les conflits qui peuvent exister en milieu hospitalier. Un problème sous-jacent concernait l’exclusion de l’orthopédiste d’une pratique en groupe. Ce litige a définitivement tranché le conflit opposant ce spécialiste à l’administration de son centre hospitalier à l’égard d’une situation particulière. Or, ne faut-il pas plutôt faire des efforts collectifs et mettre l’accent sur la qualité des soins et la sécurité des patients? Qui bénéficie des débats judiciarisés qui n’en finissent plus? Dans sa résolution imposant une suspension de trois jours à l’orthopédiste, le conseil d’administration du centre hospitalier justifie la suspension du médecin en faisant référence « aux valeurs de l’établissement qui consistent notamment à assurer des soins et services sécuritaires et de qualité ».
Est-ce qu’on a pensé à l’impact sur la sécurité des patients lorsqu’on a adopté une règle qui forcerait un orthopédiste à prendre en charge et à traiter tous les patients sans qu’il puisse, à lui seul, les traiter dans les mêmes délais que ses collègues? Ne faut-il pas permettre à tout médecin de transférer un patient qui présente un problème médical urgent à un collègue pour justement diminuer les délais d’intervention et ainsi réduire les risques de complications possibles?
Quant aux articles du Code de déontologie des médecins invoqués par le centre hospitalier, il est clair qu’ils s’appliquent aux médecins pour assurer un suivi médical, c’est-à-dire la continuité des soins afin qu’un patient ne se trouve pas entre deux chaises après avoir été vu et traité. Pourquoi le conseil d’administration du centre hospitalier a-t-il invoqué ces articles qui, pourtant, ne créent clairement pas d’obligations nouvelles pour un médecin qui n’a jamais vu ni traité un patient?
De l’avis du juge de la Cour supérieure, la mesure imposée à l’orthopédiste était lourde et elle était basée sur un « quelconque standard de nature privée ». Cette mesure n’avait jamais été autorisée par ceux qui étaient investis du pouvoir de le faire, en l’occurrence le conseil d’administration et le CMDP. Et pourtant, tous les intervenants dans les soins de la santé, incluant les centres hospitaliers et leurs gestionnaires, sont responsables de placer la sécurité des patients au centre de leurs préoccupations.
Source : http://santeinc.com/2012/06/modalites-de-gardes-et-pouvoirs-du-dsp/
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