Bien des patients n’ont pas de médecin et s’en remettent à vous pour recevoir un traitement. Et bien des médecins se demandent s’ils doivent prendre en charge ce patient..
L’engorgement des urgences et le manque de ressources constituent une réalité du système de santé au Québec. Les patients se présentent à l’urgence d’un centre hospitalier ou dans une clinique sans rendez-vous pour une variété de problèmes de santé. Il est clair que la demande de soins excède bien souvent les ressources et la capacité de fournir des soins dans des délais acceptables. Alors, que faire dans un tel cas de pénurie d’effectifs médicaux? Qui s’occupera du suivi des patients?

Dans un contexte où bien des patients n’ont pas de médecin de famille et s’en remettent à vous pour recevoir un traitement médical, bien des médecins se demandent s’ils doivent prendre en charge un patient, et ce, en particulier lorsque la condition médicale de ce dernier nécessite un suivi échelonné sur plusieurs visites.
La relation médecin-patient crée un grand nombre d’obligations professionnelles, et pour savoir s’il existe une responsabilité continue d’assurer des soins, il faut bien évidemment examiner les circonstances propres à chaque cas.
La jurisprudence a établi qu’un devoir de diligence existe dès qu’un médecin accepte la responsabilité des soins d’un patient. En milieu hospitalier, les médecins s’interrogent souvent à propos de l’étendue de l’obligation de suivi; ils se demandent s’ils doivent prendre des mesures à l’égard du suivi médical une fois que le patient a reçu son congé et dans quelles circonstances ils doivent le faire. Le médecin qui traite un patient dont il sait qu’il n’a pas de médecin de famille, doit faire preuve de vigilance et effectuer des efforts raisonnables pour discuter avec ce dernier des options qui s’offrent à lui pour obtenir les soins requis. Dans ce cas, retenez que, en tant que médecin, vous êtes responsable et vous devez veiller à ce que le patient quitte le centre hospitalier ou la clinique sans rendez-vous avec les renseignements nécessaires quant au suivi de son état de santé. On conseille généralement aux médecins de bien noter cette discussion au dossier médical du patient.
DEVOIR DE DILIGENCE CONTINUE
Examinons dans quelles circonstances un devoir de diligence continue est créé. Sauf exception, les consultations à l’urgence ne donnent généralement pas lieu à un devoir de diligence continue. Mais attention, la jurisprudence a établi que, dans certains cas, le médecin peut quand même avoir ce devoir de diligence continue pour faire le suivi des examens complémentaires et des investigations demandées lors de la consultation, et ce, même s’il n’a vu le patient qu’une seule fois. Une revue de la législation applicable s’impose pour mieux cerner les obligations professionnelles du médecin.
REVUE DES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
Les obligations du médecin concernant la prise en charge et le suivi des patients se trouvent dans la section IV du Code de déontologie des médecins. L’article 32 prévoit ceci : « Le médecin qui a examiné, investigué ou traité un patient est responsable d’assurer le suivi médical requis par l’état du patient, à la suite de son intervention, à moins de s’être assuré qu’un confrère ou un autre professionnel puisse le faire à sa place.»  De plus, l’article 33 stipule que « le médecin désirant diriger un patient vers un autre médecin doit assumer la responsabilité de ce patient aussi longtemps que le nouveau médecin n’a pas pris celui-ci en charge ».
Selon l’article 37,  « le médecin doit être diligent et faire preuve d’une disponibilité raisonnable envers son patient et les patients pour lesquels il assume une responsabilité de garde ». L’article 41 est également d’importance, car il ajoute une obligation collective, à savoir qu’un médecin « doit collaborer avec ses confrères au maintien et à l’amélioration de la disponibilité et de la qualité des services médicaux auxquels une clientèle ou une population doit avoir accès ».
UN RAPPEL : L’EXERCICE DE LA PROFESSION MÉDICALE EST UN PRIVILÈGE ET NON UN DROIT
La jurisprudence en matière disciplinaire a souvent rappelé aux professionnels de la santé que l’exercice de la profession médicale est un privilège et non un droit. Ainsi, en acceptant de devenir membre d’un ordre professionnel, en l’occurrence du Collège des médecins du Québec, le médecin acquiert le privilège de pratiquer la médecine. En contrepartie, il doit assumer l’ensemble des responsabilités qui en découlent, ce qui inclut le risque de se faire imposer des sanctions disciplinaires. Donc, même si nous comprenons que le suivi des examens peut parfois être difficile lorsque vous traitez un grand nombre de patients, le contexte de pénurie ne peut être invoqué pour justifier un défaut relatif à votre obligation de suivi à l’égard de vos patients.
QUI EST RESPONSABLE DU PATIENT EN MILIEU HOSPITALIER ?
Pour répondre à cette question, il faut analyser le degré de responsabilité assumé par le médecin dans les soins du patient.
Le médecin doit être diligent et faire preuve d’une disponibilité raisonnable envers son patient, ainsi qu’envers les patients pour lesquels il assume une responsabilité de garde. À titre d’exemple, le fait qu’un patient a été pris en charge par l’unité des soins intensifs du centre hospitalier ne signifie pas pour autant que le médecin traitant est dégagé de toute responsabilité. Nous l’avons vu dans une décision récente du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec. Un médecin avait négligé de se rendre au chevet de son patient qu’il avait opéré pour une néphrectomie partielle. Par la suite, ce patient fut transféré aux soins intensifs en raison d’une baisse importante de sa tension artérielle, de sa tension veineuse centrale, de même que de son débit urinaire. On a également noté une chute de l’hémoglobine à 69 et un scanner abdominal a montré une hémorragie abdominale. Ce tableau clinique faisait appel à la qualité de spécialiste en urologie du médecin, lequel semble avoir eu une mauvaise perception de ses obligations en milieu hospitalier. Considérant que le patient avait été transféré aux soins intensifs et que ce transfert avait été accepté par l’interniste, ce médecin croyait que le patient avait été pris en charge par l’équipe en place, notamment par l’interniste de garde. Or, selon le Conseil de discipline, en tant que bon professionnel, le médecin n’avait pas le choix de se présenter au chevet du patient pour s’assurer non seulement que tout se déroulait bien, mais également que son patient avait bel et bien été pris en charge par l’unité des soins intensifs. Il s’agit donc d’un autre exemple d’obligation de suivi.
D’ailleurs, l’obligation de diligence et de disponibilité raisonnable est souvent invoquée en jurisprudence lorsqu’un médecin remet à plus tard sa visite au chevet du patient. Cette décision est liée au bon jugement médical du médecin et nous explorerons ce thème dans un prochain article.
Il faut également évaluer l’obligation de suivi lors du transfert des patients à la fin d’un quart de travail. Par exemple, un médecin de l’urgence s’est vu imposer une radiation temporaire, car il n’avait pas communiqué avec son remplaçant à la fin de son quart de travail pour s’assurer du suivi de son patient. Pourtant, il avait été apporté en preuve que ce médecin suivait une règle administrative du centre hospitalier qui prévoyait le transfert automatique des patients à la fin de chaque quart de travail, soit au médecin de l’urgence, soit au médecin de garde sur les étages, et ce, sans autres formalités. Dans sa décision, le Conseil de discipline a noté qu’une règle administrative ne peut avoir pour effet de relever un médecin de ses obligations déontologiques face à un patient. Selon ce comité, ce médecin aurait dû s’assurer que le patient avait reçu la prise en charge que nécessitait son état.
Vous devez donc en tout temps faire preuve de jugement, car il ne suffit pas de se conformer à une pratique bien établie du centre hospitalier pour s’acquitter de son obligation de suivi à l’égard du patient. Certains se souviennent peut-être qu’il y a quelques années, un médecin a été reconnu coupable d’avoir négligé de porter secours et de fournir des soins à un patient malgré le fait que l’urgence était fermée et que les instructions contenues dans le plan de contingence prévoyaient qu’on confie les patients à un autre centre hospitalier.
LE SUIVI DES PATIENTS ORPHELINS

Dans le jargon médical, on nomme « patients orphelins » ceux qui n’ont pas de médecin de famille. Ces patients n’ont d’autre choix que de se présenter à l’urgence ou dans une clinique sans rendez-vous pour recevoir des soins. Qu’en est-il de l’obligation de suivi à leur égard?
Voici un cas qui a fait jurisprudence il y a quelque temps. Une patiente consulte un médecin dans une clinique sans rendez-vous pour une masse au sein et le médecin demande une consultation en gynécologie, une mammographie et des prises de sang. Le premier rapport radiologique confirme une zone hautement suspecte de lésion néoplasique et le radiologiste organise une biopsie. Un rapport complémentaire postbiopsie est transmis au médecin et confirme la présence d’un carcinome canalaire infiltrant. Comme le radiologiste a écrit dans son rapport que l’étude par résonance magnétique était organisée et qu’il y mentionnait une planification chirurgicale, le médecin qui a vu la patiente à la clinique sans rendez-vous a tenu pour acquis que le suivi et la prise en charge étaient assurés par le centre hospitalier. Il n’y a pas de doute que la patiente présentait une condition de santé très sérieuse qui, par chance, a été prise en charge assez rapidement en raison de la découverte fortuite d’un endocrinologue, mais sa condition n’a néanmoins pas fait l’objet d’un suivi immédiat du médecin concerné par la plainte disciplinaire.
Dans sa décision, le comité de discipline mentionne l’importance du suivi médical et fait référence à l’article 32 du Code de déontologie des médecins qui prévoit qu’un médecin, dès qu’il a entrepris l’investigation de la condition de cette patiente, notamment en l’examinant et en demandant des examens, devient responsable d’assurer son suivi médical à moins de s’être assuré de la prise en charge du patient par un confrère. Le comité de discipline a également tenu à préciser « qu’il a pleinement conscience du fait que le contexte de la pratique en clinique sans rendez-vous comporte des exigences et des difficultés au niveau du suivi des nombreux patients vus chaque jour, qui se sont manifestées de façon particulièrement importante au cours des dernières années », tout en précisant « qu’il ne s’agit cependant pas d’un motif permettant d’atténuer la responsabilité du médecin dans un cas tel que celui en l’espèce. Il s’agit plutôt d’une situation nécessitant une vigilance accrue de la part des médecins pratiquant dans un tel contexte, qui doivent apporter un soin particulier au respect des exigences relatives au suivi des patients et au surplus, s’assurer que leur personnel respect scrupuleusement les directives émises à ce sujet ».
Dans ce cas, le médecin a plaidé coupable aux accusations portées contre lui et il s’est vu imposer une radiation temporaire de quatre semaines. Il faut donc conclure que, peu importe votre type de pratique et votre lieu d’exercice, l’obligation de suivi médical vous incombe, ainsi qu’à tous les médecins. Par conséquent, une grande prudence s’impose lorsqu’une consultation donne lieu à des examens complémentaires.
LES INSTRUCTIONS AU CONGÉ
Lorsqu’on donne congé à un patient, si des soins futurs sont requis, on conseille au médecin de bien informer le patient qu’il ne peut pas devenir son médecin traitant et qu’il devra ainsi se trouver un médecin afin d’assurer le suivi de sa condition médicale. Vous pouvez également avoir cette discussion dès le début de la consultation pour, en quelque sorte, conscientiser le patient et lui dire que votre rôle ou celui de la clinique ne consiste qu’à dispenser des soins urgents et ponctuels.
Il est clair qu’on ne peut s’attendre à ce que les médecins des services d’urgence ou des cliniques sans rendez-vous assurent le suivi de tous les patients qui n’ont pas de médecin de famille. Par contre, le médecin devra faire des efforts raisonnables, si les circonstances l’exigent, afin de discuter avec le patient des options qui s’offrent à lui en vue de recevoir d’autres soins de première ligne. De plus, le médecin peut songer à confier le patient à un spécialiste pour qu’il obtienne d’autres soins.
CONCLUSION  
Il est important de bien informer le patient des limites des soins prodigués, afin que ce dernier puisse s’organiser afin d’obtenir des soins ultérieurs. Lorsque vous traitez un patient considéré comme « orphelin », sachez que l’on peut vous imposer le devoir de prendre des mesures raisonnables pour aider ce patient à accéder aux soins requis. Et il n’y a pas de mal à se tourner vers vos confrères pour vous acquitter de vos obligations.
Enfin, que vous pratiquiez dans une clinique sans rendez-vous ou ailleurs, il est important de mettre sur pied un système de gestion des résultats d’examens, d’analyses et de rapports d’imagerie diagnostique afin d’assurer une bonne gestion des résultats lorsque ceux-ci sont anormaux. Cela pourrait vous éviter bien des ennuis!
Source: http://santeinc.com/2011/11/lobligation-de-suivi-du-medecin-en-contexte-de-penurie/